Après avoir quitté Saint-Pée sur Nivelle vers le Sud, au rond point, on prend la D3 sur la droite. Au lieu-dit Cherchebruit (il est vrai que c'est plutôt calme, par ici), on tourne à gauche sur la D4 (jusque là, c'est logique). Après le pont du chemin de Zorribenta, qui enjamble la Nivelle, c'est la première à droite sur le chemin de Laputzagaraya. Ça monte et voilà, impossible de se perdre c'est un cul-de-sac. Mais quel cul (si vous me permettez) ! Sur un coteau avec une vue à 360°C sur la campagne basque et la chaîne des Pyrénées, se dresse la Ferme aux Piments. À 200 m au sud, à vol d'oiseau, c'est l'Espagne. Au loin, à l'ouest, la Rhune et ses 900 m.
L'un des champs de piment d'Espelette à la Ferme aux Piments (photo Stéphane Méjanès)
Au pays des mots comptent triple
C'est le paradis de la famille Diharce, une immense bâtisse rouge et blanc, comme il se doit, acquise jadis par le grand-père de Pierre, installé ici depuis plus de 25 ans, dans l'aire de l'AOP Piment d'Espelette, qui s’étend sur 10 communes situées dans la partie occidentale du Pays Basque, département des Pyrénées Atlantiques : Souraïde et Larressore (retenues en totalité) ; Ainhoa, Ustaritz, Itxassou, Halsou, Jatxou, Cambo-les-Bains, Espelette, Saint-Pée sur Nivelle (retenues en partie). Elles sont au coeur d'un amphithéâtre naturel formé par les montagnes alentours, ce qui crée des conditions climatiques propices à l'épanouissement du piment, notamment un circulation d'air chaud emprisonné dans ce cirque pyrénéen.
Même s'il élève par passion une quarantaine de moutons, le piment occupe toutes les journées de Pierre, et beaucoup celles de Denise, sa femme, jeune retraitée. D'autant qu'ils reçoivent de nombreux visiteurs, leur présentant un petit film sur le piment d'Espelette et leur faisant déguster une bonne partie de leurs produits, disponibles dans la boutique intégrée. Il faut ajouter à cela une activité d'accueil de séminaires et autres banquets d'anniversaires ou de noces. Pas de quoi chômer.
Gare au Gorria
Le piment - espèce Capsicum annuum L., plante herbacée annuelle pouvant atteindre 80 cm de haut, variété Gorria, le piment basque, chaud mais qui n'arrache pas, entre 1 500 et 2 500 unités Scoville, comme le poivre - est ici omniprésent depuis une petite dizaine d'années, un peu partout autour de la ferme. Le jour de notre visite, la pluie s'est invitée dans le champ en contrebas, bottes, cirées et parapluie au rendez-vous. Le climat changeant du Pays basque et, surtout, l'accent et la bonhomie de Pierre ont vite dissipé l'humidité ambiante. Au sol, pas de fruit à l'horizon, les semis de semences sélectionnées préparés en mars, repiqués 15 jours plus tard et conservés sous serre pendant deux mois, sont plantés entre début avril et mi-juillet. La parcelle passe au rouge à partir du mois d'août et jusqu'aux premières gelées, généralement début décembre. Une protection contre le gel est autorisée du 1er avril au 31 mai et en fin de culture à partir du 25 octobre, au moyen d'un voile non tissé, précise le cahier des charges de l'AOP.
La météo basque ne déplaît pas forcément aux piments (photo Stéphane Méjanès)
Entre temps, peu d'irrigation, le piment est sobre et l'AOP l'interdit "au-delà d'une période maximale d'un mois à compter du début de la plantation de la parcelle et au plus tard au 15 juillet", et un peu de binage manuel. Pour se protéger contre maladies (mildiou, oïdium, virus, gale) et ravageurs (puceron, thrip, aleurode ou tétranyque), on utilise des infusions de prêle pulvérisées sur les feuilles, des décoctions ou du purin d'ortie, voire des produits à base de pyrèthre (avec parcimonie) ou des lâchers de coccinelles. L'usage de défoliant est, lui, interdit par l'AOP. Au final, la dimension du fruit devra être comprise entre 7 et 14 cm et sa dégustation doit répondre au cahier des charges, d'abord fruité, aromatique, puis chaud mais pas brûlant, et long en bouche. Sinon, il est déclassé sans pitié. Séché puis déshydraté, il atterrira enfin dans nos assiettes.
Finir dans les cordes
Pierre Diharce a grosso modo divisé sa production en deux, raisonnée d'un côté, mais dans les clous de l'AOP, relativement stricte, bio de l'autre. Il décline sa récolte en une gamme complète de préparations aromatisées (confiture, moutarde, sel, etc.) mais surtout selon les trois modalités classiques : frais, corde et poudre. La corde n'est pas que jolie, elle témoigne du respect des anciens dont c'était la méthode de séchage traditionnelle. Des anciennes, devrait-on écrire, les femmes étant préposées à l'époque non seulement à la culture mais aussi à la confection des chapelets de piments enfilés sur des cordes et suspendus aux murs extérieurs des maisons. Fermez les yeux, vous êtes au Pays basque.
Pierre Diharce perpétue la tradition du piment sur corde (photo Stéphane Méjanès)