Fumaison et durabilité
- Stéphane Méjanès
- 23 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 juin
Pratique millénaire, l’art de fumer les aliments (préalablement salés puis rincés) a notamment permis de les préserver pour les manger plus tard, en extrayant l’eau qui, sans cela, conduirait à la putréfaction, moins ragoûtante, il faut l’avouer. On vous renvoie à la lecture de Claude Lévi-Strauss, vous ne perdrez pas votre temps, à condition de vous accrocher un poil. Si l’on plébiscite aujourd’hui les fumaisons davantage pour leur bon goût, on n’oubliera pas qu’a l’instar de l’acte de griller, celui de fumer n’est pas anodin. Cela génère des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), classés comme cancérogènes pour l'homme par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), agence intergouvernementale créée en 1965 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des Nations unies (ONU). Dans des enceintes de fumage, à chaud (jusqu’à 80°C) ou à froid (autour de 25°C), régies par des conditions techniques et d’hygiène strictement définies par la réglementation, pas d’inquiétude.

Chalutier en mer (photo : Arthur Goldstein/Unsplash)
FUME, C’EST DU LOCAL
Ça, c’est fait. Reste que l'on ne doit pas fumer n'importe quoi. Cela nous conduit à parler de pêche durable. Un sujet qui nous a été inspiré par le travail de Fumette, de JC David ou de la Maison Barthouil, maisons dejà mises en avant auprès des membres du Club des 1 000. Chez Fumette, par exemple, la quasi totalité des poissons, mollusques et coquillages est achetée au bout de la jetée, à des pêcheurs-artisans du Cap-Ferret. En cas de pénurie, on monte 170 km vers le Nord à la Cotinière sur l’Île d’Oléron (Charente-Maritime) ou on descend 180 km vers le Sud à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques).
MAMAN, LES PETITS BATEAUX
Pourquoi cette proximité est-elle si importante ? Parce que la pêche côtière de petits bateaux (moins de 25 m) a un impact faible sur les ressources halieutiques et les fonds marins. Généralement, on reste en mer entre 1 et 4 jours maximum, le « butin » est raisonnable, on ne part pas pour de grandes campagnes où il s’agit de revenir les cales pleines à craquer, coûte que coûte. Sur les bateaux de moins de 12 m en particulier (choix de Fumette), on utilise des engins de pêche « passifs » (aussi appelés « statiques » ou « dormants »), lignes, casiers et filets. Selon l’association Bloom, « en France métropolitaine, cette catégorie représente 70% des navires et 52% des emplois du secteur pour seulement 22% des captures ».

Poisson frais sur glace (photo : Wix)
LA MER AMÈRE
D’après le dernier rapport de la Food and agriculture organization (FAO), 34,2% des stocks mondiaux sont aujourd’hui surexploités. C’est trois fois plus que dans les années soixante-dix. En Europe, 43% des stocks de poissons sont encore surexploités dans l’Atlantique Nord-Est et 83% en Méditerranée. Selon une étude publiée dans le magazine Science, la pêche industrielle exploite plus de la moitié de la superficie des océans… soit à peu près 200 millions de km². Pire, dans un marché mondial du poisson représentant 33 milliards d’euros, l’industrie de la pêche n’a cessé de mettre au point des techniques spectaculairement efficaces et économiquement très rentables, pour répondre à la demande toujours plus grandissante des consommateurs.
CHALUT LES COQUINS
Chalutage, pêche à la senne ou encore pêche à l’explosif, ces techniques, parfois légales, parfois pas selon les régions du globe, sont redoutables pour les espèces et pour les habitats. La pêche à la senne permet par exemple de capturer plus de 100 tonnes de poissons pélagiques, thon, sardine, anchois ou maquereau, en encerclant un banc à l’aide de filets, sans échappatoire ni tri. Quant au chalutage de fond, c’est le plus néfaste à tous points de vue. Il consiste à racler le plancher océanique avec de lourds engins très gourmands en carburant. Et, comme si cela ne suffisait pas, le problème majeur de ces pêches peu ciblées est le « bycatch », prises accessoires et involontaires de poissons juvéniles en principe protégés pendant leur croissance, mais aussi de marsouins, dauphins, tortues et baleines. Sans valeur marchande, leurs cadavres sont généralement rejetées à l’eau. On estime ces captures illégales à 7,3 millions de tonnes par an.
SAUVER L’OCÉAN
Des associations comme Bloom, Sea Shepherd ou Ethic Océan, pour ne citer qu’elles, se battent pour peser sur les États, voire au-dessus, comme au niveau de l’Union européenne. Face aux lobbies de la pêche industrielle, elles militent pour des règlements stricts susceptibles de préserver les océans et la faune marine. Cela n’a pas trop mal fonctionné pour le thon rouge à la suite d’un plan de reconstitution mis en place par l'Union européenne en 2006 afin d’en limiter la pêche intensive. Mais, l’amateur de poisson, dont on rappellera qu’en version « frais » (le poisson, pas l’amateur), il est une source d’acides gras oméga-3, de vitamine D et B2, de calcium, de phosphore, mais aussi de fer, zinc, iode, magnésium et potassium, a aussi son rôle à jouer.

Le poissonnier, votre meilleur ami (photo : Wix)
CONSOM’ACTEURS
Voici quelques recommandations simples :
Acheter des poissons de saison, ceux qui ne sont pas en période de reproduction. L’association Mister Goodfish propose sur son site un calendrier avec une sélection par période de l’année.
Privilégier le poisson frais et entier, il y a plus de chance qu’il soit issu d’une pêche côtière.
Éviter les poissons venus de loin, parfois de très très loin.
Préférer les petits poissons à forte fécondité comme le maquereau, la sardine ou l’anchois.
Opter pour les « poissons oubliés », chinchard, grondard, plie, tacaud ou vieille, et réduire les stars des étals, bar, cabillaud, daurade, merlu ou saumon.
Vérifier que les poissons d’élevage sont issus d’une aquaculture durable. Il existe des labels : AB, Pêche Durable, Artysanal, Pavillon France, Friend of the Sea, MSC ou ASC. Ils ne sont pas parfaits mais c’est toujours mieux que la pêche industrielle de masse.
S’informer, poser des questions aux poissonniers, aux pêcheurs.
À ces conditions, passer à table pour déguster un poisson fumé restera une fête.
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