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Photo du rédacteurStéphane Méjanès

Les fromages de la Ferme Urtetia

"Des vaches, de l'herbe, des fromages." Sur le site Internet de la Ferme Urtetia, on annonce la couleur. On est allé vérifier en compagnie de Beñat Moity, fromager à Saint-Jean-de-Luz qui les a découverts. La description est fidèle. Il manque tout de même deux "choses" : Émilie Bertugli et Adrien Colet. Ce jeune couple à peine trentenaire formé sur les bancs d'une école d'agronomie bordelaise, s'est fraîchement installé dans la petite ville de Urt, 2 300 habitants. Et, s'ils font bien reposer leur activité sur les trois piliers sus-nommés, ils y apportent une vision, un engagement et une intelligence qui ont transformé notre rencontre en intense moment de plaisir gustatif et intellectuel.


La Ferme Urtetia, à l'entrée du village d'Urt (photo Stéphane Méjanès)


DU LAIT AU FROMAGE


Adrien est arrivé le premier à Urt, et pour cause : il a repris en 2018 la ferme familiale fondée en 1957. Un élevage laitier tout ce qu'il y a de plus traditionnel en Pays basque, petit troupeau d'environ 40 vaches laitières adultes pour une économie de vente en vrac de la production. Pendant ce temps, Émilie poursuivait ses études d'oenologie et se "faisait la main" à Château Montrose, 2e Grand Cru Classé à Saint-Estèphe. Jusqu'à devenir responsable de chai. Brillante, on vous a dit.


Pour accompagner le vin, le fromage n'est jamais loin. Toujours une histoire de fermentation et de levures. Ça tombe bien, Émilie est passionnée par cette (al)chimie étrange et merveilleuse. En parallèle de sa vie de château, elle se forme aux techniques fromagères, du côté d'Aurillac et jusqu'à Saint-Nectaire, à la Ferme de la vallée de Chaudefour, chez Marjorie et Christophe Bonnefille. Elle fait le grand saut en 2022, vide son verre et rejoint son éleveur préféré.


Grâce à la confiance de Claude, père d'Adrien, les deux jeunes gens transforment la ferme en déplaçant la salle de traite près de l'étable pour faire de la place à une fromagerie flambant neuve, le lait y arrivant directement par des tuyaux. Un outil à taille humaine, et même à "petite" taille pour Émilie, première à se moquer de son moins d'un mètre 60. Une fromagerie surtout dimensionnée pour ne jamais devenir une usine à fromages mais un atelier gérable au moins à deux personnes, Adrien au champ, Émilie à la cave. À terme, ils mettront même en place un système à une seule traite quotidienne, mécanisée mais pas robotisée, au lieu de deux. Pour leur confort et pour celui de leurs vaches.


UNE VIE DE VACHE


Ces bêtes chouchoutées, ils les laissent à l'herbe le plus possible tout au long de l'année, sur 25 ha de pâturages tournants dynamiques, les 25 ha supplémentaires servant à produire du fourrage. On les a caressées, on peut dire qu'elles ont la belle vie. Les Prim’holstein des parents d'Adrien sont peu à peu croisées avec des taureaux Jersiais, ce qui donne des vaches dites « Kiwi », mais aussi en 3 voies avec des taureaux Jersiais néo-zélandais et Rouge Scandinave. Le but est d’obtenir des vaches plus rustiques, plus petites et donc plus adaptées à un système pâturant. Leur lait est aussi plus riche, plus gras, propice à la confection de fromages de caractère.


Mieux, les bonnes bactéries qui colonisent les pis des vaches et passent dans le lait sont conservées sous forme de glaçons pour rafraîchir régulièrement, tel un levain, les ferments naturels utilisés lors de la première étape de fabrication du fromage, qui lui donnent sa typicité, avant l'ajout de présure (à partir de caillette de veau) qui le fera cailler. Il y a même une star des bactéries les plus aromatiques, Octave, qui se trouve aussi être la meneuse du troupeau.


Adrien Colet et ses vaches, Octave en tête (photo Stéphane Méjanès)

URTETIA ET XARNEGU EN V.O.


Avec tout ça, ils auraient pu faire de l'Ossau-Iraty et autres tommes, comme tout le monde. Mais, ils ne sont pas comme tout le monde. Enthousiasmée par son passage au pays du Saint-Nectaire, Émilie a imaginé un fromage hommage, "à la manière de". Plutôt que Saint-Nector ou autre jeu de mot improbable sévèrement réprimé par l'Inao, garante des AOP, ils l'ont baptisé Urtetia. Il s'affine dans des caves chauffées par le sol, les parfums sont entêtants. Et, avec sa croûte fleurie de couleur grise, sa pâte onctueuse, on s'y méprendrait, n'était la dimension, un peu plus grande, 21 cm pour 2 kg contre 20 cm et 1,5 kg selon le cahier des charges de l'AOP saint-nectaire fermier.


Le fromage Urtetia, créé par Émilie en hommage au saint-nectaire fermier (photo Stéphane Méjanès)


Ils ont ajouté à leur gamme un fromage à raclette, le Xarnegu, du nom de leur territoire, au nord du Pays basque (les non-bascophones disent Pays Charnégou). Ils ont aussi démarré une production de mozzarella fermière au lait cru de vache, une première dans la région. Pour cela, ils sont allés se former pendant 6 semaines en Toscane, en stage dans deux fermes, Latteria Riccianico, à Firenzuola, et La Maremmana - Caseifico Inno Al Sole, à Grosseto. Ils font aussi une divine ricotta plébiscitée par Éugénie Béziat, cheffe du restaurant l'Espadon, au Ritz Paris. Rien que ça. Pas mal après moins de deux ans d'activité... Émilie fourmillant d'idées, le plateau risque fort de s'agrandir, pour le plus grand plaisir des tyrophiles.


De gauche à droite : Beñat Moity, fromager à Saint-Jean-de-Luz, Adrien Colet,

Tristan Laffontas et Émilie Bertugli (photo Stéphane Méjanès)

Les autres producteurs mis en avant ce mois-ci :

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