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Photo du rédacteurStéphane Méjanès

Cuisiner avec Mauviel 1830

En 2030, la manufacture fêtera ses 200 ans. C’est inscrit dans son nom : Mauviel 1830. Une longévité exceptionnelle dont la vitalité a toujours pris sa source dans un mélange de savoir-faire traditionnel et d’innovation visionnaire. Depuis sa création, la maison n’a jamais quitté son fief d’origine, Villedieu-les-Poêles. Ville Dieu car ce bourg manchot est idéalement situé sur la route des pèlerins approchant du Mont-Saint-Michel, distant d’un peu plus de 40 km. Les Poêles car on y travaille le cuivre pour fabriquer des « poêles à bouillie » depuis le XIIe siècle, par la grâce des chevaliers de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (plus connus ensuite sous le nom de « chevaliers de Malte »). Ils ont bâti là un hôpital et fait commerce de cet artisanat. À l’époque, la ville résonnait tant du bruit des outils sur le métal, de nombreux ouvriers perdant même tout ou partie de l’audition en ces temps où les protections n’existaient pas, que l’on baptisa rapidement ses habitants les Sourdins.


La manufacture Mauviel 1830 à Villedieu-les-Poêles (photo : Tristan Laffontas)


C’est là qu’un enfant du Pays Sourdin, Ernest Mauviel, a créé sa petite entreprise en 1830. Il ne savait pas qu’il allait engendrer une dynastie, dont l’actuelle présidente, Valérie Le Guern-Gilbert, incarne la 7e génération. Pourtant, bien née, bien gérée, toujours à l’avant-garde, la société a survécu à tout, y compris au naufrage du Titanic, dont elle avait entièrement équipé les cuisines en 1911. Elle a traversé les crises mondiales et encaissé les soubresauts de l’Histoire, se développant à l’international dès les années 1950. Avec Valérie Le Guern-Gilbert, arrivée en 1992 avant d’en prendre la tête en 2006, Mauviel 1830 a affirmé encore plus son identité, au moyen d’un poinçon, a accéléré l’émergence de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux, notamment l’inox multicouches spécial induction développé en 1995 avec EDF. Elle a enfin renforcé ses liens avec la haute gastronomie, travaillant main dans la main avec de grands chef·fes, Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno, Philippe Hardy (le local de l’étape, étoilé à Brainville-sur-Mer) ou Pierre-Sang Boyer, entre autres, en particulier pour la réalisation d’ustensiles sur mesure. Les chef·fes sont régulièrement accueilli·es dans un lieu inauguré en juin 2018, attenant à l'atelier de production : In situ1830. Un espace de partage et de découverte ouvert à toutes et tous, créé par Cristiano Benzoni et Sophie Thullier, agence REV, et Adrien Marchand, agence ALM Archi Design. Autour d'un magnifique piano, c'est à la fois une boutique et un showroom, mais aussi une table privatisable pour 12 personnes. Avant la fin de l'année 2024, Mauviel 1830 passe aussi de l'autre côté de la barrière en ouvrant un restaurant au Mont-Saint-Michel, le Logis Sainte-Catherine, noble bâtisse plaquée au rocher sous la haute façade sud de l'abbaye, avec une salle intérieure et une terrasse (une quarantaine de places chacune), ouvrant sur un panorama de carte postale. Cerise sur le gâteau, la carte sera signée par Jean Imbert, Top Chef 2012, étoilé au Plaza Athénée.


L'entrée de In situ1830, boutique et showroom de Mauviel 1830 (photo : Tristan Laffontas)


ARTISANS AVANT TOUT


Le succès ne s'étant jamais démenti, Mauviel 1830 aurait pu grossir et perdre son âme. Ça n’est pas le genre de la maison. Pour le comprendre, il suffit de pénétrer dans l’atelier de production de près de 6 000 m². Tristan l’a fait pour nous. Il a d’abord été frappé par le bruit, bien sûr. Mais plus de Sourdins ici, désormais, uniquement des artisan·es bien équipé·es. Ils sont au total 70, capables de découper, frapper, emboutir pour façonner du cuivre, de l’acier et de l’aluminium. Ils et elles sont chaudronniers, polisseurs, monteurs, marteleurs ou étameurs. Il y a là Patrick, concentré sur le choc du marteau pour renforcer le corps du cuivre, le martelage n’étant pas qu’esthétique mais permettant de rendre plus rigide le métal naturellement mou en répartissant son poids sur l’ensemble de l’ustensile. Il y a aussi Bernard, le dernier étameur de France à pratiquer cet art du feu qui consiste à déposer une couche d’étain pur au fond d’un ustensile en cuivre afin de protéger les aliments de l’oxydation.


Bernard, l'un des derniers à maîtriser l'art ancestral de l'étamage du cuivre (photo : Tristan Laffontas)


Le plus étonnant, dans un atelier d’où sortent tout de même 1 300 pièces par jour d’une dizaine de gammes différentes, pour amateurs et professionnels, pour toutes les sources de chaleur (gaz, électricité ou induction), produits par une entreprise qui vend partout dans le monde, c’est qu’on n’y voit aucun robot, aucune chaîne qui débiterait de la poêle en continu. Juste des machines plus ou moins jeunes, soigneusement entretenues, mais surtout l’oeil et la main des femmes et des hommes.


Ici, pas de robot, juste l'oeil et la main des femmes et des hommes (photo : Tristan Laffontas)


« De la passion nait l’exception », tel est le slogan de Mauviel 1830. Pour préserver cette passion, jouer son rôle de passeur et de protecteur, transmettre les gestes ancestraux et honorer son label Entreprise du Patrimoine Vivant obtenu en 2020, la manufacture a créé un programme de formation, qui lui permet aussi de renouveler son personnel. Il est assuré par des salariés volontaires, notamment sur la partie dinanderie, version artistique de la chaudronnerie (du nom de la ville belge de Dinant où elle est née), d’où sortent en particulier les iconiques turbotières ou braisières. Un cercle vertueux, un éternel recommencement. Rendez-vous dans 200 ans !

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