Dans un vallon en lisière du paisible village d'Itxassou (Pyrénées-Atlantiques), Martine Bouquerot, Gilles Billaud et Christian Aguerre ont créé une sorte d'arche de Noé. Là, des poules et des cochons vivent leur meilleure vie, entre un champ de maïs grand roux, un grand verger de pommiers à jus, une plantation de piments d'Espelette et une vinaigrerie artisanale. Bienvenue à la ferme bio Haranea, membre de l'association des producteurs fermiers Idoki* (dont fait aussi partie la Ferme Beti Aintzina de Sabrina Larzabal et Julen Perez).
Au cours de son périple basque de juillet 2024, Tristan est allé précisément à la rencontre de Christian Aguerre, avec en tête de proposer aux membres du Club une vente de produits issus de ses porcs Kintoa. Celui-ci s'est installé en 1998 sur la ferme de sa grand-mère, déjà dans une démarche collective en créant Basaburuko Saskia, le Panier de Basseboure, pour vendre directement ses produits et ceux de ses voisins agriculteurs. Gilles Billaud l'a rejoint en 2002, Martine Bouquerot en 2009.
Christian Aguerre et ses jambons (photo Tristan Laffontas)
Sauvez le Kintoa !
Dans le sillage de Pierre Oteiza, éleveur dans la vallée des Aldudes et chef de file des sauveurs de la race Kintoa, classée en voie de disparition en 1981, Christian a monté son propre élevage. Ces animaux joviaux et grassouillets, robe tachetée de noir, tête et cul noirs, oreilles tombant sur le nez et masquant les yeux, grandissent entre pré et forêt. Ils sont engraissés entre 18 et 24 mois (contre 6 mois pour un porc "industriel"), dans le respect (et même plus) du cahier des charges de l'AOP Kintoa, obtenue en 2016. L’alimentation combine pâture, blé, maïs, orge, tourteau de colza et de tournesol.
« Les cochons adorent l’herbe, et comme ils vivent en extérieur toute l’année, elle constitue au moins un tiers de leur ration. Cela influence le goût de la viande d’une façon déterminante et on a prouvé que l’herbe apportait une enzyme qui ralentissait le rancissement du gras pendant l’affinage du jambon ».**
Le gras, c'est la vie
Dans les montagnes du pays de Quint (Kintoa en basque), 4 000 cochons décrochent le label chaque année, chouchoutés par environ 70 éleveurs. Leur flamboyant gras porteur de goût aurait pu causer leur perte en ces temps d'hygiénisme ambiant. Les paysans d'autrefois l'avaient justement sélectionné pour cela, prélevant le saindoux pour conserver la viande, comme la graisse du canard pour le confit. Christian a même développé une activité de savonnerie avec ces bons lipides.
« La noblesse de ce porc est dans son gras et les nuances de son parfum en fonction des morceaux. La longueur en bouche est corrélée à la durée d’élevage et à ce que l’animal a mangé ».**
Les jambons sèchent plusieurs mois, la chair protégée et assaisonnée par un mélange de sel de Salies-de-Béarn et de piment d'Espelette (photo DR)
Du producteur au consommateur
À la ferme Haranea, Christian Aguerre maîtrise tout, de l'élevage à la découpe et à la transformation. Tristan a pu contempler les jambons, produits sans sels nitrités, frottés à la main au sel de Salies-de-Béarn et au piment d'Espelette, pendant au plafond du grenier, emmaillotés dans une toile protectrice des insectes. L'air des montagnes pyrénéennes fait le reste. Grâce au gras intramusculaire, les jambons peuvent ainsi rester pendant 24 mois mininum sans devenir dur comme de la pierre, et développer leur fabuleux goût. Ces flaveurs uniques, on les retrouve dans toutes les préparations de Christian, ventrèche, maitraila (le guanciale basque), rôti, côtes, boudin, saucisses, dont la txistorra (saucisse semi séchée typiquement basque), pâté et autre chichon (rillettes basques). Un festin kintoesque !
*L'association Idoki porte une charte fermière qui permet le maintien de l’emploi paysan et des plus petites fermes du Pays Basque. Le producteur ne transforme que la matière première issue de sa ferme, et garantit le caractère fermier des produits. Les variétés et/ou les races sont de souche locale ou conduites de manière rustique. Les cultures sont de saison, de plein champ et récoltées à maturité. Les bêtes sont prioritairement nourries à la pâture et avec les fourrages et céréales non OGM produits sur l’exploitation. Il est conseillé d'acheter des aliments localement (départements limitrophes ou du sud du Pays Basque). Les intrants chimiques sont interdits sur les prairies, les parcours et les cultures fourragères et céréalières. Les ingrédients complémentaires entrant dans la composition des produits doivent être sous démarche collective de qualité ou d'origine locale. Aucun additif n’est autorisé. Les fermes sont à taille humaine. Le producteur a le temps de s’occuper des cultures et des bêtes, tout en gardant des conditions de travail et de vie satisfaisantes. Il garantit ainsi la meilleure qualité du produit qu’il amène jusqu’au consommateur. La moitié du revenu de la ferme doit être issu de la production fermière. Le producteur privilégie traditionnellement la vente directe à la ferme et sur les marchés, ainsi que les circuits courts de proximité (un seul intermédiaire maximum entre le producteur et le consommateur).
**Citations extraites d'un très bon reportage de notre éminent confrère Jean-Paul Frétillet pour Cuisine Actuelle