Le chocolat d'Alain Ducasse
- Stéphane Méjanès
- 10 nov.
- 4 min de lecture
Tristan parcourt parfois des milliers de kilomètres dans sa quête perpétuelle des meilleurs produits de leur catégorie. Pour aller chercher du chocolat, il aurait pu s'envoler pour l'Afrique ou l'Amérique du Sud. Ça viendra, c'est déjà fait pour le café. En attendant, c'est en métro qu'il a rallié le 20e arrondissement de Paris pour pousser la porte de la Manufacture du Chocolat Alain Ducasse, deuxième site venu renforcer l'atelier originel du 11e arrondissement (et accueillir également la manufacture de glace).

Alain Ducasse et Tristan Laffontas (photo : Stéphane Méjanès)
À deux pas de la place de la Nation, la Team Pépites est accueillie par Cédric Mogenet, chef torréfacteur chocolatier de moins de 30 ans, entré comme commis 8 ans plus tôt. L’air sent le cacao chaud, presque grillé, avec ce fond de noisette qui vous excite les narines. Ici, on travaille de la fève à la tablette. Sous les néons clairs de l’atelier, les sacs de jute s’alignent, débarqués de Madagascar, du Cameroun, du Pérou ou du Venezuela. Le sucre de canne bio vient de Colombie, le lait en poudre d’une laiterie de Saint-Malo, le beurre de cacao de Suisse (seul ingrédient qui n’est pas extrait sur place). « Tout le reste, on maîtrise », précise Cédric.
« On travaille avec deux sourceurs belges depuis 2013, raconte le jeune homme. La sélection est éthique, pas de travail des enfants, bonne rémunération des planteurs, fèves bien fermentées, bien séchées. » Chaque sac a son histoire. Ses arômes aussi. Mais, d'abord, il faut nettoyer tout ça. Une première machine sépare les petits cailloux résiduels et aspire la poussière. On obtient des fèves crues absolument parfaites pour l'étape suivante : la torréfaction. Cédric ne dévoile pas tous les secrets mais la formule est toujours un peu la même, autour de 130°C pour une trentaine de minutes. « Le chocolat, c’est de la chaleur, du temps et de la précision », annonce-t-il. On prélève quelques fèves régulièrement pour vérifier que tout se passe bien. Puis, une machine jumelle de celle de la rue de la Roquette (modèle de 1955) concasse les fèves, coques et peaux d’un côté, grué pur de l’autre. « Vingt-cinq pour cent de perte, mais c’est le prix du bon cacao », commente Cédric qui en profite pour faire goûter un peu de grué à Tristan. C'est brut, vif, presque acide. « Madagascar », précise-t-il. C’est celui que l’on utilise pour notre chocolat au lait signature à 45%. »
Du tri à la torréfaction, premières étapes primordiales (photos : Lucas Chappe)
Enfin, voici le chocolat !
La suite va transformer la matière première en véritable chocolat. On commence par changer la texture du grué pour obtenir de la pâte de cacao. On continue le broyage mais, à ce stade, on applique la recette souhaitée, en ajoutant du sucre et du beurre de cacao désodorisé, voire de la poudre de lait (surtout pas du lait liquide, on ne veut pas d'humidité dans le chocolat) si on veut faire du chocolat... au lait. Le but ultime est d'obtenir une granulométrie très fine, notamment en broyant finement les cristaux de sucre. On est en bout de chaîne, après un autre broyage du mélange obtenu par la recette, à 18 microns.
Puis vient le conchage. Les bras mécaniques brassent à 1 000 tours par minute la pâte devenue onctueuse. « Là, on polit les arômes, on fait disparaître l’acidité, on donne de la rondeur, décrit Cédric. On évite d’agresser le produit. Il faut qu’il vive, pas qu’il subisse. » Le liquide obtenu est enfin du chocolat. C'est alors l'heure du tempérage, ballet de chaleur et de froid en trois mouvements : montée, descente, remontée. Le tout pour fixer la structure du beurre de cacao. Trop chaud, il blanchit, trop froid, il casse.
À la sortie, la matière brille comme du métal poli. Le liquide coule dans les moules, se fige sous un souffle d’air en petites pastilles cylindriques appelées pistoles. C'est à partir de là qu'entre en piste la créativité des chocolatier·ère·s, mais uniquement du groupe Ducasse, rien n'est vendu à l'extérieur. Ils et elles vont fondre les pistoles produites ici et rue de la Roquette pour les transformer en tablettes, bonbons, ganaches, imagination sans limite. Le centre principal de transformation est basé à Rungis. Mais, le fil rouge, c'est le palais d'Alain Ducasse, lui qui s'est réveillé un jour avec une envie de chocolat.

Les pistoles de chocolat, promesses de nombreuses douceurs (photo : Lucas Chappe)
L’idée fixe d’un chef
L’histoire a commencé dix ans plus tôt. En 2013, Alain Ducasse inaugure sa manufacture de la rue de la Roquette. Pas un simple atelier, mais un manifeste : revenir à l’essence du chocolat, au geste, à la matière. Le chef multi-étoilé, qui rêvait enfant d’usines à bonbons et de machines à vapeur, décide de produire son propre chocolat, « de la fève au bonbon ». Pas de sous-traitance, pas de couverture achetée. « Faire son chocolat, c’est reprendre la main sur le goût. » Il s’entoure d’artisans capables de maîtriser toute la
chaîne : torréfier, broyer, concher, mouler, emballer. Son atout maître d'alors s'appelle Nicolas Berger (qui a aujourd'hui créé sa propre activité, plébiscité par les cuisinier·ère·s et les pâtissier·ère·s). Leur duo fait merveille.
Dès l’ouverture, les premières tablettes s’affirment : peu de sucre, beaucoup de caractère, une texture légèrement granuleuse qui révèle les aspérités du cacao. Les pralinés inversent les proportions classiques, 60% de fruits secs, 40% de sucre, pour retrouver le goût franc des origines. La Manufacture se distingue aussi par son exigence environnementale : fèves sourcées auprès de coopératives équitables et emballages français à 90% recyclés. Le label Entreprise du Patrimoine Vivant vient reconnaître ce travail d’artisanat d’excellence.
Dix ans plus tard, la marque a essaimé ses boutiques, à Meudon, Bordeaux, Londres ou Tokyo, sans rien renier de son modèle initial. Chaque atelier reproduit le même univers : machines anciennes, production maîtrisée, rigueur du geste. Les chefs-chocolatiers, comme Cédric Mogenet, perpétuent l’esprit d’origine, celui d'un chocolat dense, expressif, qui laisse parler la fève. Nous sommes particulièrement heureux de permettre aux membres d'accéder à ce chocolat d'exception, à un prix spécial pour elles et eux. Chut ! En avant, croquez !

La magie chocolatée de Noël chez Alain Ducasse (photo : Manufacture Alain Ducasse)








