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Photo du rédacteurStéphane Méjanès

Le wagyu de Kamakle

Au téléphone, le timbre est clair, le ton enthousiaste. À 68 ans, Philippe Prévost est toujours aussi heureux de parler de ses animaux. Pour quelques temps encore, l'heure de la retraite a sonné, il devrait passer la main courant 2025. Mais, en attendant, il ne lâche rien. En ce jour d'octobre, au bout du fil, il insiste : « écrivez bien que notre veau sous la mère n'a rien à voir avec le veau de lait. » En effet, d'un côté, on laisse les petits téter au pis de la vache, et on complète avec des céréales achetées localement, mais aussi du foin produit sur la ferme située à Foissiat, dans l'Ain. De l'autre, on arrache les bébés à leur maman (pour pouvoir vendre leur lait), on les enferme dans une niche et on les engraisse au lait en poudre. Pas chez tout le monde, heureusement, les veaux tigre des Abbatucci sont beaucoup mieux traités que ça, nourris à l'herbe après avoir été sevrés à l'âge de 3 mois.


Philippe Prévost (photo : Mathilde Lasserre)

Cet engagement et cette rigueur dans les pratiques, c'est l'histoire de toute une vie pour Philippe Prévost. De plusieurs vies, même. Né dans l'Oise dans les années 1950, il a été élevé à Chantilly dans une famille où le cheval était roi, avec un grand-père lad jockey (celui qui nourrit, panse, entraîne et conduit aux courses). Devenu vétérinaire à Lyon, sortant d'une école où il a rencontré sa femme, Pascale, il revient au cheval pour faire plaisir à ses trois enfants, achète une jument puis une autre et encore une, qui font des petits. Il se lance dans l'élevage, sans avoir sa propre ferme, sous l'affixe Fondcombe (l'affixe est le nom d'élevage que l'on ajoute à la suite du nom des chevaux), clin d'oeil à la Vallée des Monts Brumeux du Seigneur des Anneaux, chef d'oeuvre de J. R. R. Tolkien que le couple a dévoré. Il confie ses champions à de grand·es cavalie·ères, sélections en équipe de France et médailles au rendez-vous.

WAGYU DE BRESSE


Jamais en retard d'une nouvelle aventure, Philippe Prévost décide en 2011, à 55 ans, d'acquérir une ferme pour élever... des bovins, un projet qu'il rumine depuis 2008. Cette fois, c'est la passion du wagyu qui l'anime, ce boeuf japonais (traduction littérale) à la chair ultra persillée, fantasme ultime des amateurs qui ont découvert la version originale au Japon, avant que son exportation ne soit autorisée en 2014, mais aussi en dégustant des spécimens élevés un peu partout dans le monde, en Tasmanie comme en Castille-León (Espagne), et jusque sur la côte Ouest de la Suède, nés à partir d'embryons que les Nippons ont accepté un temps de céder, avant de se raviser, puis de lâcher prise à nouveau. Une charolaise inséminée donne à Philippe son premier veau, et c'est parti ! Une aventure proche de celle de Christophe Hay à la Ferme du Soleil.

Un boeuf wagyu en pleine forme dans son jardin de la ferme Kamaklé (photo : Mathilde Lasserre)

Il baptise sa marque Kamakle. Ne cherchez pas une référence piochée dans un roman d'heroic fantasy ou dans une saga islandaise, c'est l'acronyme des prénoms Camille, Mathieu et Clément, progéniture des Prévost. Les animaux s'ébattent en plein air sur 100 ha (les enfants aussi), dans les meilleures conditions possibles, reçoivent des rations d'un mélange non-OGM de triticale, maïs en flocons, tourteaux de colza et lin le plus clair de l'année, du foin de la ferme en hiver, sans antibiotique ni hormone. Ils arrivent à maturité à l'âge de 3 ans, atteignant un persillage adapté aux palais occidentaux, un grade de 8 sur une échelle qui grimpe jusqu'à 12 au Japon. Même soin pour les charolaises et quelques aubracs, qui ont droit à un régime identique à celui des wagyu mais sont engraissées seulement 4 à 12 mois, développant un délicat marbrage de "bon" gras. Le tout au prix d'une traçabilité pointilleuse, chaque acheteur peut demander le pedigree de sa viande.


Côte de wagyu (photo : DR)


SOUVENIR, SOUVENIR

Avec aujourd'hui encore 110 têtes au total, Philippe Prévost et ses deux employés ne s'ennuient pas mais peuvent contempler avec fierté le résultat de leur travail. La transmission s'annonce bien, on l'espère au Club parce que cette viande-là a une saveur particulière. Au goût mais aussi au souvenir. Car, pour terminer, il faut revenir sur la première rencontre entre Pépites et Philippe. Elle a eu lieu lors du tour de France en van de Mathilde et Tristan. Coup de coeur réciproque, organiser une vente s'est vite imposée. À quelques jours de l'échéance, Tristan appelle Philippe pour régler les derniers détails. Par acquis de conscience, il vérifie qu'il n'y aura pas de problème de stock pour satisfaire les membres, suffisamment de morceaux différents pour tout le monde. « Comment ça ?, s'étonne Philippe. J'ai prévu d'abattre une bête, ça fait par exemple une côte de boeuf d'un peu moins de 2 kg ou 3 entrecôtes, pas une de plus. » Échaudé par quelques expériences malheureuses, des promesses non tenues, ce dernier y allait à reculons avec le Club, pour l'amitié naissante avec Mathilde et Tristan mais sans vraiment y croire. La mise en avant est alors à deux doigts d'être annulée.

PRISE DE CONSCIENCE


Pour Tristan, même avec "seulement" 80 membres à l'époque (vous êtes 632 au moment où l'on écrit ces lignes), il était inenvisageable de créer de la frustration. « OK, Philippe, je comprends, on y va quand même mais qu'est-ce qu'on fait quand on a tout vendu ? », interroge Tristan. « Je t'offre une bouteille de champagne et on discute », rétorque Philippe, incrédule. Quand Tristan l'a rappelé cinq minutes après l'ouverture de la vente pour lui dire que tout était parti, il a souri, mis les bulles au frais et promis une deuxième bête, mais un mois plus tard. « Tope-la », a répondu Tristan, certain que les membres comprendraient, aurait cette patience. Il venait surtout de réaliser, grâce à cet épisode fondateur, qu'il faudrait forcément limiter le nombre de membres. Pour rester en adéquation avec les capacités des producteurs qui font d'abord bien avant de faire beaucoup. La genèse du Club des 1 000.

Les autres producteurs mis en avant ce mois-ci :

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