En 2022, Mathilde et Tristan ont fait halte à Getaria, commune du Guipuscoa, l'une des trois provinces de la communauté autonome du Pays basque espagnol. Charmant port de pêche au bord de la mer Cantabrique, au sud du Golfe de Gascogne, elle est la patrie du couturier Cristóbal Balenciaga (1895-1972). Mais ici, ce sont les poissons que l'on découpe avec doigté pour en faire des salaisons haute couture.
Travail de précision sur les anchois de Maisor (Photo Mathilde Lasserre)
Malgré son aversion pour ce filet marronnasse hérissé d'arêtes, mollasson et saturé de chlorure de sodium que l'on jette sur les mauvaises pizze, Tristan était prêt à réviser son jugement sur l'anchois salé. Sous l'oeil amusé de Mathilde (pléonasme), il est entré dans la conserverie Maisor, située directement sur les quais. Il en est ressorti conquis, la vidéo qu'il en a rapporté parle d'elle-même.
Il faut dire que Maisor coche toutes les cases d'un savoir-faire respectueux et engagé, au service du goût. On est pêcheur depuis toujours dans la famille, puis grossiste. La conserverie a, elle, été créée en 1999. Le secret est simple : être au cul du bateau pour récupérer les poissons les plus frais et les transformer presque dans les minutes qui suivent. On est loin du modèle de certains industriels, qui achètent à un endroit, transforment dans un autre et conditionnent encore ailleurs. « Nous travaillons uniquement avec des espèces de la mer Cantabrique, capturées par la flotte de Getaria en utilisant les formes traditionnelles de pêche. »
LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS
L'anchois en particulier est capturé à l'appât de pêche côtière, composé d'un maillage de filet rectangulaire qui entoure le banc, technique respectueuse des habitats marins et des autres espèces car très sélective. Mais, plus important encore, tout se passe à la bonne saison (eh oui, les poissons ont leurs saisons, comme l'asperge et la figue). L'anchois de Cantabrique est pêché au printemps, au moment où les bancs s'approchent des eaux côtières pour terminer leur cycle de reproduction. Cette période s'appelle "la côtière de l'anchois". Entre avril et juin, avant la période de la fraie (saison de reproduction), l'anchois concentre la graisse dans la rogue (poche des oeufs), le sel pénètrera mieux dans son dos. À partir d'août, il accumule la graisse dans la chair pour l’hiver et ne durcirait pas de la même manière.
Quand on a un poisson frais au meilleur de son âge, la fabrication est facile. Quoique. Petits et délicats, les anchois requièrent une patience et une minutie absolues. Le jour même du débarquement, on les manipule un par un, on les étête et on les empile dans des barriques de 300 kg, alternativement entre deux couches de sel marin, puis on place un poids pour que le poisson dessèche et mature lentement. Sur 100 kg, il n'en restera plus que 20. Ce processus dure à peu près 6 mois, les barriques étant conservées dans des entrepôts par une température comprise entre 13 et 16 degrés. Là, intervient l'expérience, le coup d'oeil et le coup de narine. Les anchois sont prêts lorsqu'ils prennent une couleur rougeâtre et développent une odeur caractéristique.
Les anchois de Cantabrique de Maisor (Photo Mathilde Lasserre)
Dans l'atelier du port de Getaria, les petites mains de Maisor enlèvent le sel des anchois, un par un, dans plusieurs bains d’eau, puis coupent la queue et une partie des arêtes, grattent énergiquement pour que la peau disparaisse totalement. Ensuite, on les ouvre en deux, on retire l'arête centrale et on ôte les dernières arêtes au couteau. La productivité est d'environ 400 g par heure et par personne. Avant d'être emballés, les filets sont séchés entre des torchons. Ils sont enfin conditionnés sous différentes formes, l'huile neutre, tournesol par exemple, étant leur meilleure amie, même si l'huile d'olive douce va bien aussi. À noter qu'il s'agit de semi-conserve, la stérilisation n'est pas possible, la chaleur détruirait les poissons. Cela explique qu'il faille conserver les anchois au réfrigérateur et les consommer dans les six mois, le plus vite possible en vérité, ils sont déjà à leur apogée, et surtout dans les 3 jours une fois le paquet ou le bocal ouvert.
Si vous n'êtes pas encore convaincus, sachez que Maisor a reçu un Prix Glouton en 2010, décerné par le Glutton Club, pour saluer un artisanat d'excellence. Si le club ne s'appelait pas Pépites, Glouton aurait pu fonctionner pour pas mal de ses membres !