Les panettones de Christophe Louie
- Stéphane Méjanès
- 30 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 juil.
La madeleine de Proust de Christophe Louie n’est pas une madeleine mais un entremets. Biscuit joconde aux amandes, caramélisé, mousse au chocolat, bavaroise vanille. Il avait une dizaine d’années. Choc gustatif originel. Dans la cuisine de ses parents, premiers restaurateurs chinois installés près du jardin du Luxembourg, à Paris, il aborde plutôt le côté pratique du métier, trier les légumes, décortiquer les crevettes, faire la vaisselle. Mais, à la maison, on mange du navarin, de la bavette à l’échalote, des quiches, autant de plats français roboratifs. Sans surprise, quand on cherche le petit Christophe, on le trouve alors dans la Librairie Gourmande de Geneviève Baudon, rue Dante (5e arrondissement). Grâce à elle, il décroche à seize ans un stage chez le grand pâtissier Gérard Mulot, près du Marché Saint-Germain.

Tristan et Christophe Louie devant la boutique près du Carreau du Temple (photo : Stéphane Méjanès)
Puis, c'est l’école hôtelière, rue Belliard, d’abord en cuisine, ensuite en pâtisserie. Très vite, la confirmation : c’est là, entre poches à douille, pesées millimétrées et textures fragiles, qu’il se sent bien. Il enchaîne les expériences : le Train Bleu, le Meurice, Oberweis au Luxembourg, le Jules Verne sur la Tour Eiffel. Il pâtisse, baba, clafoutis, opéra, s’entraîne pour des concours de sucre filé. Il aime, mais se lasse. Tout ce qui brille n'est pas d'or. Jouer avec la nourriture pour la jeter ensuite ? Très peu pour lui.
L'APPEL DU PANETTONE
Il atterrit à La Grande Épicerie de Paris, où il restera douze ans. Un virage lent mais déterminé commence à se dessiner. Une voix intérieure lui murmure un mot simple, ancien, essentiel : pain. Et son corollaire : levain. Il commence à apprendre, à expérimenter, se forme aux côtés du regretté Thierry Delabre (Panadero Clandestino). Il découvre alors un monde aussi vivant que mystérieux, un compagnonnage invisible avec les bactéries, les fermentations, le temps long. Et, un jour, il croise le chemin du panettone.
Jusque-là, comme beaucoup, il n’aime pas ça. Il pense même détester, à l'instar de Tristan, fondateur du Club, avant que Franck Collas (Fleur de Loire) puis Christophe ne le convertisse. Ces brioches sèches et grasses, aux arômes artificiels, souvent camouflées dans des emballages tape-à-l’œil, n’ont jamais su éveiller ses sens. Jusqu’à cette formation chez Valrhona, animée par Frédéric Bau et Roland Del Monte, l'un des Meilleurs ouvriers de France glacier. Là, il goûte un vrai panettone. Et sa vie bascule.

Les panettones la tête en bas pour garder leurs belles rondeurs (photo : Lucas Chappe)
Depuis huit ans, il n’a cessé d’explorer, de perfectionner, de se confronter à cette pâte aussi capricieuse qu’exigeante. Il est allé en Italie, chez le grand maître valdôtain, Mauro Morandin, lui-même formé par son père Rolando, dans le village de Saint-Vincent, au nord de Turin, à moins de 40 km à vol d'oiseau du Mont-Blanc. Il en a ramené un levain qu’il soigne encore aujourd’hui comme un animal domestique. Il a compris qu’un panettone, un vrai, se fabrique en trois jours, fruit de patience, d’humilité, et d'une connaissance intime de chaque ingrédient.
Ici, pas de levure industrielle, pas de levée express, mais du 100% levain, qu'il faut rafraîchir, observer, comprendre. La première pâte repose une nuit, gagne en volume. Le lendemain, elle est pétrie à nouveau avec un pétrin à bras plongeant, qui ne chauffe pas la pâte, mais la caresse, la soulève, l’oxygène. On y intègre un beurre AOP, des œufs frais, du sucre, des fruits confits qu’il va personnellement sourcer chez des artisans italiens. Il visite les moulins pour choisir ses farines, s’associe à Nicolas Berger pour le chocolat. Chaque détail compte.
UN ARTISANAT D'EXIGENCE
« La pâte est vivante », dit-il souvent. Trop chaude, elle casse. Mal fermentée, elle devient acide. C’est une danse lente, presque alchimique. Rien à voir avec l’industrie, ses œufs en poudre, ses émulsifiants, ses kits tout-en-un où l’on rajoute des arômes standardisés pour masquer l’absence de fermentation, ses ersatz de panettone qui sortent, tous les mêmes, en à peine 24 heures. Il n’est pas dupe, même certains artisans utilisent ces raccourcis. Lui s’y refuse.

"La pâte est vivante", illustration (photo : Lucas Chappe)
Dans un monde qui privilégie la rapidité, l’efficacité, le rendement, Christophe Louie revendique une forme d’insoumission. Il prend le temps. Il respecte les matières premières. Il refuse le gaspillage, si un panettone reste sur l’étagère, il le transforme en diplomate, imbibé de crème aux œufs. Il ne stocke pas, ne produit pas en avance. Tout est frais, du jour. Et, quoi qu'il arrive, répète t-il comme un mantra : « c'est le panettone qui décide ».
À ceux qui veulent se lancer, il conseille d’abord de comprendre le levain, de le maîtriser, de le sentir. Et d’accepter de se tromper. « C’est normal de faire de la pâte ratée au
début », glisse-t-il avec bienveillance. Mais à force, on apprend à l’écouter, cette pâte. Et un jour, elle vous parle.
Dans sa boutique ouverte avec son associé, Guillaume Etlin, on descend au labo par un escalier étroit, vers le saint des saints, là où les panettones reposent, la tête en bas, dans des odeurs capiteuses de pâtes fermentées. À l'étage, les clients ne voient que le résultat et font la queue pour du pain, des viennoiseries, des gâteaux, et des panettones, bien sûr. Du traditionnel mais pas que. Christophe invente, explore, déplace les lignes. Un jour, c’est un panettone salé « cacio e pepe », hommage à l’apéritif italien. Un autre, ce sera peut-être une collaboration avec une maison de luxe (mais chut, c’est encore secret). Il ne s’interdit rien, tant que cela a du goût et du sens.
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