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La charcuterie de Maison Verot

Photo du rédacteur: Stéphane MéjanèsStéphane Méjanès

C'est une petite rue calme en proche banlieue. Une enfilade de coquets pavillons, de petits jardins, d'immeubles bas, en briques à l'ancienne ou refaits récemment, de grilles et de portails. L'un de ceux-ci donne sur une cour en contrebas où est garé un véhicule utilitaire. Au fond à gauche, un quai de chargement (et de déchargement). Sur le côté, une salle de réunion, un vestiaire et un bureau tout simple. C'est là que Gilles et Nicolas Verot accueillent Tristan, une première pour le fondateur du Club des 1 000 dans le saint des saints de la charcuterie française. Depuis ce labo de 600 m2 partent parmi les plus beaux pâtés-croûtes de France et de Navarre vers les cinq boutiques parisiennes de Maison Verot. De merveilleux fromages de tête, de séduisantes hures à la pistache, des pâtés Grand-Mère ou une diabolique terrine "cochon de la tête aux pieds", savant empilement de fromage de tête, jambonneau, boudin noir, saucisson à l’ail, andouille de Guéménée, pommes et confit d’échalotes. Entre autres.


Gilles Verot accueille Tristan Laffontas dans son labo (photo : Stéphane Méjanès)


Nicolas, le fils, doit filer s'occuper de son bébé mais Gilles, le père, nous guide à travers le labyrinthe d'une cuisine où s'activent ce jour-là une douzaine d'employé·es arrivé·es du monde entier, de Chine ou de Corée du Sud, en passant par le Sri Lanka, pour apprendre l'excellence de l'art des chairs cuites qui fait les charcutiers, sous la protection de Saint-Antoine, leur patron. Il y a là le lauréat de l'Oreille d'Or du Championnat de France 2024 de fromage de tête, Roméo Froux, et le récipiendaire d'une médaille d'or du Championnat de France 2025 de pâté-croûte, catégorie moins de 30 ans, Rui Geng. Comme tous les jours, on y prépare aussi le pâté-croûte vice-champion du monde 2011, recette de Gilles Verot lui-même, foie gras de canard, volailles et cochon. Ça ne rigole pas, comme dirait l'autre.


Les Verot, fils et père (photo : Boby)


Et pourtant si, ça rigole. L'atmosphère est détendue, la gentillesse et la bienveillance ne sont pas les moindres qualités de la famille Verot, dont Catherine, femme de Gilles, est le ciment. Dans un coin, Gaël Radigon, l'un des Meilleurs ouvriers de France charcutier 2019 (comme son grand-père et son oncle avant lui), chef exécutif de la Maison Verot, peaufine les premiers essais de pâtés-croûtes qui seront servis lors de Taste Of Paris 2025 (du 8 au 11 mai au Grand Palais éphémère), sur le stand de Métro, et dont tous les bénéfices iront à l'association Tout le monde contre le cancer. Il verse une sorte de bouillabaisse aux parfums envoûtants dans une pâte pré-cuite et ajoute des morceaux de homard. On en mangerait à même la casserole.

Préparation du fromage de tête (photo : Stéphane Méjanès)

La répartition des tâches est bien définie même si tout le monde est assez polyvalent, capable de donner un coup de main les jours de grosse activité, notamment en fin de semaine. Le parcours de marche en avant passe devant le garde-manger où sont stockés les ingrédients de base, vinaigre, huile, sel, poivre, sucre ou lait. Puis c'est la légumerie, où l'on lave, épluche, taille, sans rien jeter. Un couloir et voici la salle de cuisson où trois gaillards débitent une montagne de chair de tête de veau arrivée désossée par Laurent Guglielmi, éleveur de porcs bios dans le Perche, ami et partenaire des Verot depuis plus de 20 ans. Ça sent diablement bon, on en dévorerait à même la paillasse. On pénètre ensuite dans la cuisine proprement dite, avec ses fours, ses gazinières, ses grands cuiseurs, avant de terminer dans l'antre des pâtissiers, qui font les pâtes brisées ou feuilletées et montent les pâté-croûtes avec les mêlées de viandes et les ingrédients des recettes toutes différentes.


Les pâtissiers à l'oeuvre dans le labo de Maison Verot (photo : Stéphane Méjanès)


Dans le pâté-croûte champion de France de Rui, il y a notamment de la gorge de porc, des kumquats confits, des morceaux de shiitake, des filets de pigeons, du foie gras roulé dans de la poudre de trompettes de la mort (que l'on trouve aussi dans la pâte). Même Gilles Verot a été impressionné par la recette de son élève, qu'il proposera en boutique, mais pas tous les jours, il faut quatre fois plus de temps pour le préparer que pour les autres. Innover, saisonnaliser, proposer des séries limitées, c'est l'une des marques de fabrique de Maison Verot : créer des collections, comme dans la mode. "C'est Pierre Hermé qui m'a donné l'idée quand il s'est installé non loin de notre première boutique, rue Notre-Dame des Champs", souffle Gilles Verot.


Le pâté-croûte champion de France de Rui Geng (photo : Stéphane Méjanès)


Cette maison-mère du 6e arrondissement de Paris, ouverte en 1997, reste l'épicentre du monde Verot. À l'époque, on y préparait toute la charcuterie dans le labo situé au sous-sol. Pas le choix, Catherine et Gilles se sont lancés seuls dans l'aventure. Et pourtant, les deux étaient des enfants et même petits-enfants de charcutiers... À Paris pour Catherine, à Saint-Étienne pour Gilles. Heureux destin, après avoir fait ses classes chez Reynon, à Lyon, Gilles est monté à la capitale pour se perfectionner avenue de Saint-Ouen (Paris 18e), chez les parents de sa future épouse. Coup de foudre entre un moule à pâté et une embosseuse. Revenus un temps à Saint-Étienne, ils ont vite compris que travailler en famille n'était une option ni d'un côté ni de l'autre. Gilles avait besoin de s'émanciper de ses racines stéphanoises et le frère de Catherine était déjà sur les rangs pour reprendre la charcuterie Leautey.

Découpe de la hure pistachée en boutique (photo : Boby)

Si la transmission s'était faite, l'histoire du couple aurait peut-être été différente. Celle de la charcuterie aussi, n'ayons pas peur des mots. Car, à la fin des années 1990, cet artisanat pratiqué par des gens pourtant capables de maîtriser des savoir-faire nombreux et complexes, ne fait pas les gros titres. Les charcutiers restent cantonnés dans leur labo, invisibles, alors que les cuisiniers deviennent, eux, des stars. Catherine et Gilles Verot vont ainsi moderniser et rendre sexy un métier traditionnel et besogneux. En s'associant dans les Bar Boulud de Daniel Boulud, chef lyonnais multi-étoilé, star aux États-Unis, ils ont fait découvrir la charcuterie à des Anglosaxons conquis, de New York à Toronto, de Londres à Boston. Poussés par la communicante Valérie Solvit (qui s'occupera aussi du boucher Hugo Desnoyer), ils sont sortis de leur échoppe, mettant en lumière un monde qui va séduire de plus en plus les mangeurs mais aussi les cuisiniers (qui viennent se former chez eux). Gilles a donné des conférences à Sciences-Po, et Maison Verot est entrée en 2014 aux Galeries Lafayette. Une révolution, on vous dit.

Le pâté-croûte vice-champion du monde 2011 (photo : Lucie Sassiat)

Mais, tout ça, les Verot l'ont toujours fait sans jamais céder sur le goût, sans renier les grands classiques, tel l'Oreiller de la Belle Aurore (qui contient de la viande de gibier à plume et à poil) ou le pâté de Houdan (exclusivement à la volaille). En défendant aussi des valeurs. Depuis ses débuts, Gilles Verot sélectionne quasiment tous les ingrédients avec soin, auprès de producteurs qui pratiquent une agriculture durable. Il a aussi réussi, après de nombreuses années de recherche, à ne quasiment plus ajouter de sels nitrités dans ses préparations (sauf pour le foie gras de canard à la coupe, qui sans cela s'oxyderait rapidement et perdrait son goût si subtil). Nicolas, le fiston, qui, après des études de commerce, a intégré en 2017 l'entreprise qu'il dirige aujourd'hui, perpétue cet engagement. Il apporte aussi sa créativité, comme dans un original pâté en poulpe, signature des collections Printemps-Été. Avec son père, il a aussi écrit deux livres aux éditions du Chêne, s'efforçant de rendre la charcuterie accessible à toutes celles et ceux qui voudraient se lancer chez eux. Et ça marche (on a testé pour vous).

Aux Verot, les amateurs de charcuterie reconnaissants !


Les Verot, fils et père (photo : Boby)

 
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