La truffe blanche de Marine Gallois
- Stéphane Méjanès
- 13 déc. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 déc. 2024
Après une première vie dans l'univers du luxe, mode et hôtellerie, puis de l'événementiel, Marine Gallois s'est engagée corps et âme pour défendre et promouvoir un produit de la terre qui ne paye pas de mine, peau fine avec un léger grain, mais recèle des trésors de flaveurs : la truffe. À travers sa société, Origine Truffe, elle s'est forgé une belle réputation, en particulier sur la truffe blanche. Les chef·fes l'adorent pour le soin qu'elle prend à sélectionner les meilleurs spécimens, venant exclusivement d'Alba, dans le Piémont, en Italie, certificat d'authenticité à l'appui. « La Croatie, et plus précisément la forêt de Motovun, sur la péninsule d'Istrie, est devenue un gros pourvoyeur de truffes blanches, explique t-elle. C'est la même variété mais pas le même terroir, le parfum et le goût sont vraiment incomparables. » On peut en dire autant des truffes blanches de Grèce, Hongrie, Roumanie, Slovénie ou Serbie. On ne sait en revanche pas quel goût avait l'unique exemplaire officiellement découvert en France, dans la Drôme en 2011...

Marine Gallois, experte est Tuber magnatum (photo : Origine Truffe)
TOUT UN MONDE DANS UN CAILLOU
Cette truffe blanche, "Mozart des champignons" pour le compositeur italien Gioacchino Rossini, ne ressemble décidément à rien d'autre avec ses notes alliacées voire de gaz. Son nom scientifique est Tuber magnatum Pico, en référence à un médecin turinois, Vittorio Pico, qui l'avait lui baptisée Tuber magnatum en 1788, "magnatus" désignant en latin les grands personnages de leur temps. On la dit blanche mais elle est plutôt jaune pâle, ocre, voire beige, et peut même tirer sur le rouge lorsqu'elle a grandi en symbiose avec un saule (la meilleure selon le plus français des restaurateurs italiens, Massimo Mori). Le tilleul est l'essence d'arbre qui fournit la truffe la plus blanche. Elle s'épanouit également auprès d'autres feuillus, chênes, peupliers, noisetiers ou charmes. Il lui faut entre 6 et 10 ans pour se former.
ET POURQUOI PAS LA CULTIVER ?
Si l'on sait à peu près cultiver Tuber melanosporum dans des truffières plantées d'arbres
mycorhizés, Tuber magnatum Pico paraît vouée à demeurer strictement sauvage, rebelle à toute
domestication. Entre 2008 et 2017, l'INRAE et les Pépinières Robin, basées dans les Hautes-Alpes,
ont bien mené des recherches plutôt prometteuses. Première mondiale, une récolte a eu lieu en
2019 puis en 2020 dans une plantation en Nouvelle-Aquitaine. Cocorico ! Oui, bon, il n'y en avait
que 3 la première année et 4 la seconde... Les résultats scientifiques de ces travaux ont tout de
même été publiés le 16 février 2021 dans la revue Mycorrhiza, et on ne peut que saluer cet effort.
Mais, si les Pépinières Robin commercialisent aujourd'hui des arbres mycorhizés pour la truffe
blanche, on cherche encore l'homme qui a vu l'homme en râper une sur son risotto.

Beautés au naturel (photo : Origine Truffe)
Contrairement à la truffe noire, qui aime les terrains secs et calcaires, Tuber magnatum se plaît dans les fossés humides ou en bordure de petits cours d'eau. Cela explique que le "caveur" (celui qui déniche la truffe sous terre) historique de la truffe blanche est le très rigolo et très poilu chien d'eau romagnol, ou Lagotto Romagnolo, chasseur de gibier d'eau dans les marais de Comacchio et Ravenne, en Émilie-Romagne dont il est originaire. La saison de la truffe d'Alba précède et chevauche un peu celle de la truffe noire puisqu'on en trouve de fin septembre à fin décembre. Hélas de moins en moins, le dérèglement climatique et la perte de biodiversité ont fait chuter les volumes récoltés, faisant flamber les prix de l'un des produits alimentaires les plus chers au monde, autour de 5 000 euros le kilo en moyenne. L'inquiétude est si grande qu'une association Save the Truffle a été créée à Alba en 2015 par Carolo Marenda, chasseur de truffes, et Edmondo Bonelli, chercheur en sciences naturelles. Leur mission : protéger et sauvegarder l’écosystème de la truffe par la biodiversité.
ALBA ET NUL PART AILLEURS
Si l'on en trouve ailleurs en Italie, du côté d'Acqualagna, dans la province de Pesaro et Urbino, ou en Ombrie ou encore en Toscane, où se déroule depuis 40 ans la Foire nationale de la truffe blanche de San Miniato, Alba reste la terre bénie de Tuber magnatum. Le nom de la ville ne vient pas de "blanc", autre traduction possible d'"alba", mais de "alp-", en référence aux belles collines des Langhe, haut-lieu de viticulture en Italie. Sa réputation liée à la truffe, elle la doit à son terroir, bien sûr, mais aussi à un homme, Giacomo Morra (1889-1963). Ce restaurateur à succès a présenté la truffe blanche lors de la foire viticole d'Alba, dans les années 1920, initiant dès 1929 la Fiera Del Tartufo Blanco, devenue la Foire internationale de la truffe d'Alba, dont la 94e édition a lieu le 18 décembre 2024, avec en point d'orgue la vente aux enchères mondiales. Génie du marketing, Giacomo Morra a aussi eu l'idée d'offrir les plus belles pièces à des personnalités, telles Marylin Monroe, Rita Hayworth, Winston Churchill et même le pape Paul VI. Du placement de produit avant l'heure !

Marine Gallois ne plaisante pas avec l'origine de ses truffes blanches (photo : Origine Truffe)
Les truffes blanches d’Alba que propose Marine Gallois sont déjà brossées et prêtes à être dégustées, surtout pas cuites mais crues en fines lamelles sur des plats chauds ou froids. Etant composée à 80% d’eau, on prendra soin de l'envelopper dans un papier absorbant puis dans une boîte hermétique (pour éviter d’embaumer tout le réfrigérateur) et de la conserver 3 à 4 jours entre 2 et 4°C. Sortez la râpe !
