top of page

Les miels d'Amine

Dernière mise à jour : 27 janv.

Enfant des années 1990, Amine Talah est avant tout un "citadin de base", nourri aux produits de la grande distribution. Y compris le miel, qu'il n'aime d'ailleurs pas beaucoup à l'époque. Mais, né à Pau, au coeur du Béarn, il a toujours eu ressenti une connexion avec la terre. À la veille de sa majorité, il récupère une petite parcelle, plante quelques graines, pour voir. « J'ai été surpris par le goût des fruits et des légumes, bien différents de ce que je mangeais jusque là », se souvient-il. Une révélation. Et comme il a l'esprit d'entreprise, il songe à ouvrir une conserverie. Un projet qui reste en suspens. Mais, dans l'intervalle, il découvre le monde des abeilles, insectes pollinisateurs essentiels à la reproduction des végétaux, comme ceux qu'il bichonne dans son potager. Il décide d'offrir le gîte et le couvert à ces hôtes de choix. Une première ruche arrive en 2013. Onze ans plus tard, il en possède 300, dont 200 à 250 en production chaque année.


Amine Talah dans sa boutique à Pau (photo : Stéphane Méjanès)


DES PYRÉNÉES ET DE NULLE PART AILLEURS


« Entre 18 et 25 ans, j'ai créé les bases, raconte Amine. Je travaillais à côté, veilleur de nuit, vendeur sur les marchés mais aussi petite main dans l'événementiel. » L'autodidacte crée la Miellerie d'Amine en 2015 avec une vision : faire un produit de qualité, jeter un pont entre le champ et l'espace de vente. Le miel est aussi un produit de proximité. L'abeille peut parcourir jusqu'à 3 km pour butiner mais son souci premier est la rentabilité entre le volume de nectar disponible et la distance pour le rapporter à la ruche. S'il y a ce qu'il faut à 500 m ou à 1 km, elle n'ira pas plus loin. Amine a, lui, étendu son rayon à 80 km autour de Buros, son fief à 9 km de Pau, endossant tout naturellement le rôle d'ambassadeur du "miel des Pyrénées produit en Béarn". Et s'il faut grimper, il grimpe, jusqu'à 1 800 m, là où paissent les brebis qui donnent les fromages emblématiques de ce coin de France.


Opération "ruches au sommet" (photo : Miellerie d'Amine)


Dans la nature sauvage ou en partenariat avec des agriculteurs bio, Amine pose ses ruches là où il pourra produire la plus grande diversité de miels. Au pluriel. Il n'y a pas plus de miel que de vin ou de fromage, tous sont singuliers. Une typicité qui dérange les industriels, plus soucieux d'uniformiser que de caractériser, pour mieux vendre à des consommateurs paresseux, au besoin en leur fourguant tout autre chose que ce qu'ils croient naïvement acheter.


La directive 2001/110 CE du Parlement européen établit que « seule la substance sucrée produite

par les abeilles à la suite du butinage et entreposée dans une ruche peut être vendue sous

l'appellation "miel" au sein de l'Union européenne ». L'enquête « From the Hives » Miel 2021-2022)

menée par la Commission européenne a révélé que 46 % des 320 échantillons testés étaient

soupçonnés de ne pas répondre à la-dite directive, contre 14 % lors de l’étude précédente, en

2015. Plus de la moitié (57 %) étaient adultérés (non purs) avec des sirops de sucre. Ceux-ci,

interdits par la réglementation européenne, sont généralement issus de riz, de blé ou de betterave

sucrière. On constatait aussi l’usage d’additifs, d’arômes, de colorants et l’ajout d’eau (la teneur

idéale se situe en dessous de 18 % pour éviter la fermentation). Pire, certains contrevenants

avaient rémunéré des laboratoires pour adapter le dosage miel/sucre afin qu’il soit indétectable

par les autorités et les clients avant la mise sur le marché. D’autres, ou les mêmes, se débrouillent

aussi pour masquer l’origine géographique en falsifiant les informations de traçabilité et en

retirant le pollen, marqueur génétique aussi confondant qu’une empreinte digitale. À ce petit jeu,

l’enquête a conclu que 74 % des miels de Chine était suspects, 93 % pour la Turquie et carrément

100 % pour le Royaume Uni, où l’on se contente la plupart du temps d’importer, de mélanger puis

de distribuer dans l’Union européenne, dont il ne fait plus partie depuis le 31 janvier 2020.

Extrait d'un article de l'auteur de ces lignes paru dans le magazine C'est Meilleur Quand C'est Bon #4

Les billes miel spécialement conçues pour le chef-pâtissier Michaël Bartocetti (photo : Miellerie d'Amine)


PERLES DE PALACE


Amine propose un peu de douceur dans ce monde de brutes avec une gamme d'une dizaine de miels différents. Le chef de Pierre Gagnaire au Sketch, à Londres, a été le premier séduit. Par hasard, un ami d'Amine lui avait vendu un scooter... Depuis, la Miellerie d'Amine est le fournisseur de presque tous les palaces parisiens. Aussi bien en petits pots en verre (un système de consigne est à l'étude) qu'en formats originaux. Pour Michaël Bartocetti, chef-pâtissier du Four Seasons Hôtel George V, à Paris, Amine a développé de magnifiques billes de miel, comme des perles précieuses moulées dans du silicone et que l'on peut congeler au besoin. Le miel garde son onctuosité, le couteau pénètre sensuellement dans la bille et permet de le tartiner sans difficulté.

À la Miellerie d'Amine, il n'y a pas DU miel mais DES miels (photo : Stéphane Méjanès)


LEVAIN POUR MIEL

Ce jeu sur la texture du miel, Amine le pousse jusqu'à pratiquer la cristallisation dirigée. En dehors du miel d’acacia et du miel de mangrove, riches en fructose, la plupart des miels contiennent du glucose et cristallisent en effet très vite. Pour les rendre liquide (la préférence des consommateurs), on les chauffe à plus de 50°C pendant quelques semaines, ce qui en altère les qualités organoleptiques. Le juste milieu consiste à ensemencer une masse liquide de 300 kg, préalablement réchauffée à la même température que la ruche (40°C), avec une sorte de levain composé à la Miellerie d'Amine de 15 kg du miel à ensemencer et de 5% d'un autre miel dont la cristallisation correspond au résultat recherché (ici de tournesol ou de printemps). Le naturel 100% local n'exclut pas la recherche & développement.


En matière de miel, Amine Talah en connaît un rayon (photo : Miellerie d'Amine)


À sa manière, Amine valorise sous un meilleur jour certaines plantes invasives, telle la renouée du Japon, arrivée en Occident dans la seconde moitié du XIXe siècle comme plante d'ornement et qui pullule désormais, notamment au bord des cours d'eau. Lorsque les abeilles se nourrissent du nectar de ses fleurs, cela donne un miel à la fois rare (en moyenne 300 pots par an à la Miellerie d'Amine) mais au caractère affirmé, avec des notes de rose caractéristiques.


La Miellerie d'Amine fête ses 10 ans en 2025, le temps a vite passé et s'est même accéléré en 2024 avec l'ouverture d'une première boutique en propre, en face des Halles de Pau rénovées, sous l'impulsion d'un maire un peu occupé, un certain François Bayrou. Un autre projet anime Amine, l'ouverture avec son frère jumeau Sofiane d'une fromagerie avec cave d'affinage au sous-sol, juste à côté du magasin de miels. On pourra y grignoter et tester des accords fromage et... miel. Miel alors !


Au coeur des ruches de la Miellerie d'Amine (photo : Miellerie d'Amine)


Les autres producteurs mis en avant ce mois-ci :

bottom of page