Les produits de Fumaison Odinet
- Stéphane Méjanès
- 4 août
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours
À l'heure où l'on tapote sur son clavier, Joséphine Odinet est sur un marché sur la côte Atlantique, aux alentours de Guérande. Tout l'été, table pliante et cartons sous le bras, elle va à la rencontre des amateurs de produits fumés pour leur faire découvrir son travail. Un sacerdoce qui reflète parfaitement l'engagement dans une nouvelle aventure professionnelle de cette jeune femme déterminée, sa capacité de travail et son goût des autres. Elle a quitté sa jolie maison de la campagne nord-mayennaise, acquise récemment avec sa soeur Lucie, pour une vie foraine à se lever tôt, à se tenir debout, à faire la conversation et à sourire (elle ne se force pas).

Tristan et Joséphine Odinet devant le mobil-home où tout se passe (photo : Lucas Chappe)
Avant ça, il a fallu produire sur deux fumoirs différents (dont un bricolé de ses propres mains à partir d'une échelle de cantine), à froid, tout ce qu'elle espère vendre pour poursuivre l'aventure pensée depuis plusieurs années mais concrétisée il y a quelques mois seulement. Son laboratoire de production, c'est un mobil-home vert amande posé au fond de son jardin-champ. On n'est pas dans la série Breaking Bad, ici tout est sain et parfaitement légal. Pour préparer sa tournée estivale, Joséphine y a passé de nombreuses nuits lorsque la France était écrasée par la chaleur (oui, oui, même à la frontière avec la Normandie). Des nocturnes en pointillés car, pendant que ça fume, il n'y a rien d'autre à faire que se reposer.
« Je mettais une alarme au maximum toutes les 3h, j'enfilais des chaussures, je traversais le jardin pour aller vérifier que la combustion était bonne, puis je rentrais me coucher, et ainsi de suite. Je travaille à la fraîche tôt le matin et à partir de 20h en production pour tenir le coup. J'ai de magnifiques couchers de soleil face à l'atelier, c'est ma récompense ! Le soir, je travaille en silence, le matin, je mets de la musique pour me motiver. J'écoute de tout, enfin tout ce qui est bon ! »
FILLE DU SUD ET DU FEU
L'histoire de Joséphine, c'est une histoire de feu sans flamme. Une quête de chaleur contenue, d’arômes suspendus dans le temps, qui glissent, s’enroulent, caressent, sans jamais brûler. C’est une histoire de goût, de goût juste, de goût fumé. Une histoire qui commence bien avant le fumoir, dans l’enfance d’une fille du Sud qui préférait les braises aux Barbies, les fougasses au feu de bois à la brioche industrielle. Une histoire née entre Provence, Normandie et Atlantique, entre le romarin de la garrigue, la lumière de la Seine-Maritime et la fleur de sel des marais.

Joséphine pèse, mesure, sent, ajuste tous ses mélanges de bois (photo : Béryl Libault)
Elle le savait depuis longtemps, le goût serait le fil rouge de sa vie. À 15 ans, elle entre au lycée hôtelier de Bonneveine, à Marseille, Après un diplôme à l'école Ferrandi, elle enchaîne les expériences en cuisine. Elle se perfectionne, de Marseille à Saint-Barthélemy, en passant par les grandes maisons parisiennes (Potel & Chabot, Cobéa - « ma plus grande expérience humaine avec le chef Philippe Belissent » - Guy Savoy au Chiberta, Le Crillon avec Christopher Hache). Le tout entrecoupé d'un long voyage de six mois en Asie, dans six pays différents, puis un poste de cheffe dans un restaurant de "tapas internationales" (elle en sourit aujourd'hui), qui nourrissent son imaginaire. Plus récemment, elle ouvre cinq restaurants d’un groupe qu’elle porte sur ses épaules de cuisinière en baskets. Jusqu'à ce qu'un jour, elle se pose et décide d’arrêter de courir après les services, de revenir à quelque chose de plus brut, de plus lent, de plus essentiel : la fumée. Un retour comme consultante en management lui laisse du temps pour dessiner les contours de son projet.
UN PROJET DE LONGUE HALEINE
Car cette idée infuse depuis longtemps, comme une huile à basse température. Trois ans et demi d’essais, de mélanges, de sciures testées (en se battant avec les fournisseurs pour trouver du non-traité) dans les cuisines fermées des cinq restaurants qu'elle supervise, les week-ends, quand les fourneaux se taisaient. Une obsession : créer des recettes de fumage. Pas juste du hêtre dans un fumoir, mais des combinaisons de bois, de plantes, d’huiles essentielles. Des partitions aromatiques capables de sublimer un produit sans l’écraser.

Premier outil de travail chez Tristan, le nez, ça tombe bien pour la fumaison (photo : Lucas Chappe)
Joséphine ne fume pas, elle compose. À la manière d’un parfumeur ou d’un torréfacteur. Elle cherche le point d’équilibre, la note juste, celle qui réveille une huile d’olive douce, mature, presque tapenade, sans en briser la rondeur. Celle qui fait danser une fleur de sel en lui soufflant un accent de matcha, ou qui élève un beurre normand d’un cran dans l’élégance.
Le mobil-home bricolé de ses mains, électrifié et mis en eau grâce à des câbles dans des tranchées qu'elle a creusées elle-même, est un laboratoire poétique. Une lampe Anglepoise, clin d'oeil à Luxo Jr de Toy Story, éclaire les nuits sans sommeil, les serpentins côtoient les générateurs de fumée, feuilles de châtaignier et bois de pommier sèchent ensemble, l’huile essentielle de pomelo Bio de Corse dialogue avec les copeaux de citronnier. Ses préparations racontent la traversée de terroirs où elle collecte ou fait collecter. Le romarin cueilli par son père dans la garrigue varoise. L’huile du moulin Gervasoni, douce, fruitée, choisie pour sa capacité à dialoguer avec la fumée sans grincer. Le colza paysan d’une ferme bio voisine de sa maison mayennaise, où l’on fait aussi du pain. Les agrumes de Vessières, les poivres de Kampot, les feuilles sauvages ramassées entre deux chemins, le marc et les sarments de vigne d’une amie, compagne d'un vigneron en Champagne, pour faire du vinaigre fumé.
Macération, infusion et repos des mélanges d'essences, fumage, mise en bouteille et étiquetage, le processus prend entre un et trois jours selon les produits. Il faut ça, par exemple pour la Chill Chili Oil, dont le mélange d'essences de fumage est constitué de bois de hêtre et d'oranger, de piment et de clou de girofle, augmenté d'une liste d'ingrédients à la Prévert dans le liquide : huile de pépin de raisin, piments (Cayenne, chipotle, gochugaru), poivres (Voatsiperifery, cubèbe, baies de Timur et de la Jamaïque), feuilles de combawa, échalotes et ail. Diabolique !

L'atelier de Joséphine dans son environnement naturel (photo : Lucas Chappe)
Derrière la matière première, de l’humain, du souvenir. Elle fume des huiles, des beurres, des moutardes, des sels, des épices, mais ce qu’elle encapsule, ce sont des fragments de mémoire. "Pinède Espadrille", "Lèche Doigts", elle s'amuse autant qu'elle se dévoile en nommant ses recettes. Souvenirs de balades dans la garrigue ou de rouget dévoré brûlant au pied du barbecue en maillot de bain, le fenouil dans le poisson grillé. les fleurs blanches cueillies au coucher du soleil.
« Je veux que ce soit un outil pour les chefs, mais aussi un plaisir pour les particuliers. »
Elle sait ce qu’elle veut. Fumer sans cuire, sublimer sans masquer. Et elle sait aussi ce qu’elle ne veut pas, le kitsch, l’esbroufe, le gadget. Chaque produit est pensé pour durer, pour s’afficher sur une étagère autant que pour parfumer un plat. Il y a du fond et de la forme. Et beaucoup, beaucoup de travail.
La nature, des mélanges d'essences, des huiles fumées (photos : Lucas Chappe et Béryl Libault)
Joséphine n'est pas seule à bord, il y a les producteurs et productrices, partenaires plus que fournisseurs, mais aussi la famille, bien sûr, les amis comme Maxime, soutien de toutes les débrouilles, ou Béryl, photographe dont on peut voir les oeuvres sur ses étiquettes. Une oeuvre collective qui lui permet de rêver grand. Elle pense déjà à développer des kits de fumage pour barbecues (une exclusivité Club Pépites, pour l'instant), à proposer des ateliers de création de mélanges. Elle veut surtout allumer un feu de joie sur la langue grâce à sa fumée ! On est heureux d'arriver au tout début, on y croit, faites-nous confiance ! Pour en savoir plus sur les produits mis en vente, cliquez ici.