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Les champagnes Roger Coulon

Ce jour-là, il fait très beau à Vrigny, bourg tranquille de 240 âmes adossé à la Petite Montagne de Reims. 240 aussi comme Cote 240, point culminant où se déroulèrent de violents combats durant la Première guerre mondiale. Le village a été détruit à 100% moins un pan de mur. La terre en porte encore les stigmates, tranchées et trous d'obus. Une chose a résisté : la vigne. Et les Coulon, famille de viticulteurs et vignerons depuis 1806, originaires de Coulommes-la-Montagne, à moins de 2 km de là. Pas de grands aventuriers, donc, mais une lignée de neuf générations qui se sont relayées sur ces pentes douces. C'est Roger qui a donné son prénom au domaine avant de disparaître prématurément. Son fils Éric n'a alors que 14 ans mais ne tardera pas, trois ans plus tard, à épauler sa mère Bernadette, rejoint plus tard par son épouse Isabelle.


Louise et Edgar Coulon, neuvième génération (photo : Lucas Chappe)


Aujourd'hui, ce sont les enfants d'Éric et Isabelle, Edgar et Louise, qui incarnent le présent et l'avenir du domaine, sans jamais oublier le passé ni la chance de récupérer une maison saine à tous points de vue. Le relais s'est d'ailleurs fait sans heurts, à quatre voix et autant de regards. Une harmonie qui fait plaisir à voir lorsqu'on les croise tous les quatre dans des locaux de réception au charme fou, contemporains par le choix du mobilier, des objets, des éclairages et de la peinture noire, mais aussi ancrés dans une histoire avec l'omniprésence du bois, clin d'oeil à l'élevage du vin.


La cave cathédrale (photo : Lucas Chappe)


Edgar et Louise ont grandi au cœur du domaine, réquisitionnés gamins à l'habillage (action de coller les étiquettes), puis aux travail du végétal et à la dégustation. Au-delà du vin, ils ont été éduqués dès leur plus jeune âge au monde du goût, grâce aux talents culinaires d'une maman maîtrisant comme personne aussi bien la pâte feuilletée maison pour les tartes aux pommes du jardin que le lapin en gibelotte. Ce n'est sans doute pas un hasard si Louise a épousé Lucas, restaurateur et fils d'éleveur-boucher (Maison Guiset, à Reims et Bezannes). Avant de revenir, Edgar et Louise sont partis : Bandol pour elle, la Bourgogne (chez Philippe Paccalet) et le monde pour lui, jusqu'en Nouvelle-Zélande. Pour apprendre autrement, découvrir d'autres tempos, pour savoir ce que l'on veut et ce que l'on ne veut pas, sans dogmatisme ni jugement.


PÉPITES x ROGER COULON


Tristan et les Coulon, Edgar, Isabelle, Louise et Éric (photo : Tristan Laffontas)


La rencontre avec le Club des 1 000 s'est faite autour d'un déjeuner Pépites de haut vol à l'Assiette Champenoise (3 étoiles au Guide Michelin) chez Arnaud Lallement, sur le thème : "Frères & Soeurs de la Champagne". Le courant est passé immédiatement avec Tristan. « Ce qui nous plaît pendant nos vacances, c'est de dénicher des producteurs, des histoires, des gens qui travaillent bien », raconte Edgar. L'éthique du Club Pépites résonne puissamment avec la leur. Cette obsession du bon, du vivant, du sincère. « On aime nos clients, on veut leur faire plaisir. » Quelques mois plus tard, Edgar et Louise décident d'ouvrir aux membres leur vinothèque familiale, de piocher dans les ultimes flacons, ceux que l'on ne sort que pour des occasions très spéciales, pour des gens que l'on estime. Des cuvées à l'émotion intacte, certaines plus commercialisées depuis longtemps, dont il reste peu d'exemplaires, précieusement gardés.


DES PARCELLES ET DES HOMMES


Retour à Vrigny, classé Premier Cru de la Montagne de Reims. Les vignes des Coulon, environ 110 parcelles certifiées Bio, sont éparpillées sur un peu moins de 11 hectares, principalement autour de leur village, mais aussi à Villers-Allerand et Chouilly. À Vrigny tout particulièrement, la terre est un millefeuille : craie en socle, argiles, sables, marnes, limons. Des sols vivants, nourris par l’histoire géologique de l’effondrement du bassin parisien. Le pinot meunier s’y épanouit, notamment sur les sables pauvres et drainants, qui lui apportent tension et finesse. Il est le cépage historique de Vrigny, et représente à lui seul près de la moitié de l'encépagement du domaine Roger Coulon, aux côtés du chardonnay et du pinot noir, représentés à part égale.


Les Champs Chevaliers (photo : Lucas Chappe)


Parmi les parcelles emblématiques, les Champs Chevaliers ou la Fosse Saint-Marcoux ne sont pas que des lieux-dits, ils sont habités, arpentés, pensés. Situés sur les hauteurs du village, les Champs Chevaliers font partie des terroirs historiques plantés au tout début de la viticulture champenoise, à proximité des anciennes abbayes. Avec les raisins du haut de la parcelle, sous un bois, Edgar et Louise produisent l'un de leurs coteaux-champenois rouges, en vendange entière et macération semi-carbonique, avec des rendements très modérés pour une expression pure du pinot noir (ils produisent un autre coteaux-champenois rouge de pinot meunier celui-ci).


Quant à la Fosse Saint-Marcoux, c'est une histoire personnelle qui s'y écrit. Ce lieu-dit abrite la parcelle qui a vu naître la toute première cuvée signée Edgar Coulon : Synode 2016, 100 % meunier, en monocépage et monoparcellaire. Il y a mis son expérience, sa sensibilité et ses souvenirs d'enfance. Une façon d'ancrer son retour au domaine par une signature forte, issue d'un terroir à la stratification complexe, où les couches de sable s'effondrent avec le temps et révèlent la mémoire du sol.


COMME UN ARBRE DANS LA VIGNE


Les méthodes culturales, initiées par les parents et poussées encore plus loin par les enfants, s'inspirent des forêts voisines. Non pas pour y appliquer des recettes, mais pour y lire des équilibres. Pas de labours sur certaines parcelles, enherbement naturel ou semis temporaires, couverts végétaux variés, apport de mulch lors de la tonte pour nourrir les sols. Les vers de terre travaillent mieux que n'importe quelle lame. Dans cette viticulture inspirée, l’enherbement joue un rôle fondamental. Il protège les sols contre l’érosion, maintient leur fraîcheur lors des étés caniculaires. Edgar résume d’un trait d’humour : « l’herbe, c’est un peu notre crème solaire ». Elle préserve la vie souterraine, limite l’évaporation, permet à la vigne de puiser l’eau plus en profondeur. Loin de concurrencer les ceps, les couverts végétaux les accompagnent, les stimulent.

Un écosystème lent, patient, adaptatif, où chaque geste se pense dans la durée. Là où la vigne a besoin d’aide, elle la reçoit : tisanes de plantes, cuivre et soufre à doses précautionneuses, traitements adaptés à l’hygrométrie, à la température, au vent et à la lumière.


Edgar et Louise auprès du pommier de la famille (photo : Lucas Chappe)


Depuis quelques années, Edgar et Louise plantent des arbres directement au milieu des routes (rangs de vigne en Champagne). La vigne redécouvre sa nature de liane et vient s'enrouler dans les branches des fruitiers, comme ce vieux pommier familial (celui des tartes) greffé pour la postérité depuis le jardin des grands-parents, mais aussi des arbres forestiers, choisis pour leur rôle mycorhizien ou leur capacité à créer un ombrage naturel. L’hiver, ce sont les moutons qui entrent en scène. Introduits pour la première fois il y a six ans, ils étaient au début l’objet de curiosité, presque de moquerie. « Les voisins nous regardaient un peu de travers », sourit Louise Mais, très vite, les échanges se sont multipliés, et aujourd’hui, ils sont plusieurs à avoir adopté cette pratique douce et efficace. Les moutons pâturent entre les rangs, désherbent naturellement, et repartent dès le débourrement (arrivée des bourgeons) pour ne pas compromettre la future récolte. Une présence utile et apaisante.


Edgar et Louise auprès de leurs tonneaux (photo : Lucas Chappe)


DE LA TERRE AU TONNEAU


Lors des vendanges, manuelles, grappes entières (les deux sont obligatoires en Champagne), c'est Louise qui est préposée à la vigne. Une cinquantaine de vendangeurs venus de Reims et des environs sont recrutés pour l'occasion. Elle quitte la commercialisation, son domaine, pour le terrain, plutôt celui de son frère mais dont elle maîtrise tout autant les arcanes. À cette période cruciale, qui sanctionne le travail d'une année et augure des années suivantes, elle a pour mission cruciale d'assurer un tri parfait des plus beaux raisins. Pour le coteaux-champenois, il faut que les fruits et le bois soient mûrs au même moment, Edgar a choisi de ne rien érafler.


Posté à la cuverie, le frère reçoit les caissettes et lance immédiatement le processus, sur deux pressoirs de 4 000 litres. Chaque vin, chaque parcelle, chaque millésime trouve son chemin. Les jus sont prêts et, plutôt que de déclencher la fermentation à coups de levures sélectionnées, la vinification est ici naturelle, sur levures indigènes mais selon la pratique qui consiste à préparer une sorte de levain de levures identifiées sur l’ensemble d’un domaine et que l'on répartit dans tous les jus d’un millésime. Ici, chaque lopin conserve ses levures spécifiques, celles de la peau du raisin propre au lieu, les jus étant vinifiés séparément. Ensuite, le temps est souverain. L’élevage se fait principalement en fûts champenois, soigneusement choisis. Ni 100 % bois neuf, ni standardisation. La chauffe, le bois, la taille, tout est discuté, anticipé, ajusté dans une relation privilégiée avec les tonneliers du cru. Chaque tonneau est entretenu, parfois utilisé sur plusieurs décennies. Le bois permet une micro-oxygénation douce, favorise la complexité aromatique, notamment à travers un un contact prolongé avec les lies (dépôt de levures inertes), tandis que l'inox, plus neutre, met davantage en avant la précision d’un millésime ou la pureté d’un cépage. Edgar et Louise jonglent entre les deux, selon le message qu’ils veulent faire passer dans leurs vins.


Dernière position avant dégorgement (photo : Lucas Chappe)


Les vins restent sur lies jusqu'à dix mois, avant la mise en bouteille. Vient ensuite un long vieillissement sur lattes, puis encore un an en cave après le dégorgement. Trois âges pour un seul vin. Une construction patiente, soignée, qui respecte les saisons et les équilibres. La liqueur de dosage, si dosage il y a, relève davantage de l'assaisonnement que du correctif. Et puis il y a la bulle. Chez Roger Coulon, elle ne doit jamais être tapageuse. « On tire à 4,5 bars au lieu des 6 classiques », précise Edgar. Cette pression plus basse, pensée dès le tirage, donne une effervescence fine, presque crémeuse, qui respecte l’expression du vin sans l’écraser. Une bulle comme une respiration.


RARE ET PRÉCIEUX


C'est ce soin, cette cohérence, cette humilité à l'égard du vivant qui ont convaincu Tristan. Chez Roger Coulon, on ne produit pas du champagne, on écoute un terroir, on accompagne des raisins, on rend hommage au lieu. Et parfois, on ouvre des trésors. Edgar et Louise ont offert un merveilleux cadeau aux membres du Club Pépites : celui d’exhumer trois cuvées sorties de leur vinothèque familiale. Trois champagnes qui ne sont plus commercialisés, réservés jusqu’ici à quelques occasions précieuses. Il y a donc Synode 2016, mais aussi deux millésimes de Blanc de Noirs franc de pied, 2008 et 2014, issus de deux parcelles plantées directement dans le sable, sans greffe, sur Vrigny et Gueux. Des vins rares, d’une profondeur minérale, élevés longuement, patiemment, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques flacons.


Certains parleront d'édition limitée, de cuvées confidentielles. Edgar et Louise, eux, parlent d'échange, de plaisir, de continuité.


Une confidence* bien cachée illustrant une viticulture respectueuse de la nature (photo : Lucas Chappe)

*Confidence : languette discrète permettant d'ouvrir la coiffe (ou jupe) proprement, sur laquelle certains rares vignerons dissimulent un dessin (comme ici), un mot, une devise...


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