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Les pâtes d'Élodie et David Le Ruyet

L'auteur de ces lignes les avaient quittés en décembre 2020 sur une séance de production de pâtes longues découpées et entrelacées en forme de nid. Cinq ans plus tard, quasiment rien n'avait bougé chez Élodie et David Le Ruyet, pastiers à Languidic (Morbihan). Juste une machine un peu plus performante et confortable pour acheminer le mélange de farine et d'eau vers la buse, et une stagiaire en moins. Ils se sont rencontrés sur les bancs du lycée, ils se sont plus, ils se sont mariés, ils ont créé leur entreprise, ils ont eu deux enfants, et ils comptent bien continuer comme ça longtemps, à deux, sans folie des grandeurs. Les enfants d'abord, le boulot ensuite.


« On aime notre vie de famille. On ne veut pas être des parents absents. » Élodie Le Ruyet

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David Le Ruyet et Tristan Laffontas dans un champ de sarrazin (photo : Lucas Chappe)


En ce jour de juin 2025, les gestes sont immuables. Vêtu d’un tablier, charlotte sur la tête, David Le Ruyet accompagne d’une main l’extrusion des lanières brunâtres crachées par la buse alvéolée, que l'on appelle aussi filière. Elle est en bronze, sans laiton pour accélérer la cadence, comme le font les industriels, qui perdent du même coup la rugosité des pâtes obtenue avec le bronze et permettant d'accrocher la sauce. De l’autre main, lorsque son œil aguerri estime la longueur suffisante, il tranche d’un coup sec avec sa corne en métal, puis il confectionne un petit nid d’environ 70 g, déposé délicatement dans des cases calibrées. Et recommence. Et recommence. Le tout dans le bruit métallique d’une vis sans fin qui malaxe son mélange et le pousse vers la sortie à une pression de 120 bars.


UN SAVOIR-FAIRE DE PRÉCISION


Cette fois-là, au menu, il y a des likenn (sorte de tagliatelles dentelées). Farine de blé tendre maison, de la graine à la poudre, fraîche de la veille, lait écrémé et œufs bios locaux, rien de plus, rien de moins. On sait ce qu’il y a dedans mais l'artisan breton garde secrètes les proportions de sa recette. « De toute façon, ça change presque tous les jours, justifie David. Selon l’air ambiant, on mouille plus ou moins, comme un boulanger. Si c’est trop humide, ça ne sort pas. »


« Je sais au bruit de la machine si ça va ou si ça risque de coincer. Si elle grogne, c’est mauvais signe. » David Le Ruyet

Dans ce hangar d’une paisible zone industrielle campagnarde, Élodie Le Ruyet prendra le relais, à elle les pâtes courtes. Elle s'occupe aussi de glisser des pâtes prêtes dans des sachets qu’elle scelle à la main, un par un. Pas les pâtes du jour, celles de la veille qui ont séché pendant 24 h, un peu à l’air libre et dans de grands frigos, pour faire passer leur taux d’humidité de 85 % à 55 % puis descendre doucement en température sans les casser. Là aussi, le mystère sur la courbe de déshydratation reste entier.


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Les pâtes (ici, des likenn) sortent de la filière en bronze (photo : Lucas Chappe)


En tout cas, l’expression « affaire familiale » n’est ici pas une formule en l’air. Les terres pour le blé, le coffrage en bois des moulins, confectionné par le grand-père menuisier, tout est made in Le Ruyet. « David est le chef de l’entreprise, moi je suis salariée, mais à la maison, c’est moi le patron », sourit Élodie. La maison, et leur progéniture (11 et 14 ans), elle les quitte tôt pour embaucher à 6h15. Pendant que son époux s’occupe de la paperasse en prenant son petit-déjeuner, elle lance la production. Après avoir conduit garçon et fille à l’école, David prend le relais, et maman a son après-midi pour elle et les enfants (de plus en plus autonomes). En une journée, ils auront produit entre 120 et 180 kg de pâtes. Un duo efficace qui aurait pu ne jamais se former. Avec un BTS énergie, Élodie voulait se spécialiser dans la plomberie, la construction de piscine. Une vilaine allergie de contact l’a privé de son rêve de devenir un jour cheffe de chantier. Mais son côté Géo Trouvetou est aujourd’hui fort utile lorsqu’une machine tombe en panne.


« J’ai une vision à 360° avec ma formation, je vois tout de suite ce qui va marcher ou pas. On est complémentaires. » Élodie Le Ruyet

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Le plus grand moulin en bois (photo : Lucas Chappe)


LE PARI DU FROMENT ET DU SARRASIN


Les amoureux associés travaillent ensemble depuis 2011, lorsqu’Élodie a officiellement rejoint la production sur laquelle elle avait déjà son mot à dire depuis 2 ans. Et pour cause. En 2009, c’est dans la salle de bain de leur petit appartement que séchaient les pâtes, sous le souffle d’un banal ventilateur. « Un chef italien de Lorient nous prêtait gentiment sa machine, se souvient David. On fabriquait les pâtes le matin ou l’après-midi et on les rapportait à la maison. » C’est l’époque de la passion mais aussi de l’incertitude. « Des pâtes en Bretagne, ce n’était a priori pas très porteur, précise-t-il. Personne n’en faisait ici parce qu’aucune variété de blé dur n’y pousse, il fait trop humide. Mais comme j’aime bien ne pas faire comme les autres, j’ai pensé que ça valait le coup d’essayer les pâtes au blé tendre, avec notre froment (céréale, ndlr) et notre sarrasin (plante à fleurs, une polygonacée, pas une céréale ndlr) qui ont naturellement du goût. »


Froment à gauche, sarrasin à droite (photo : Lucas Chappe)


Enfant de Lindrin, à 5 km de Languidic (Morbihan), où se situe l’atelier, David a grandi entre ses parents qui élevaient des volailles et son oncle des vaches laitières. Le champ, c’est son terrain de jeu favori, mais il pressent rapidement le besoin de transformer le fruit de son travail pour en vivre. « Je voyais bien que ma mère ne s’en sortait pas », confie-t-il. Un stage de Bac pro dans une petite ferme en Mayenne qui produit son jus de pomme, un autre en Haute-Savoie où des paysans fabriquent du reblochon et le vendent sur le marché, le confortent.


Un séjour dans le cadre de son BTS aux Moulins de Perrine, à 40 km à l’est de Toulouse, achève de le convaincre. « C’est là que j’ai découvert les pâtes, s’enthousiasme-t-il. Ils cultivaient des céréales, des oléagineux, ils avaient de petits moulins, ils faisaient de l’huile, du pain, des pizzas. » Alors, de retour au pays, sur les 18 ha de la famille, il se met à cultiver du blé tendre et commence la fabrication de pâtes. Mais à qui les vendre ? Il épluche l’annuaire pour répertorier les épiceries fines mais il a aussi une intuition : les meilleurs prescripteurs, ce sont les chef·fe·s. Nous sommes un an avant la première saison de Top Chef, les cuisiniers et le cuisinières ne font pas les gros titres. David sait, lui, que s’il les convainc, il a gagné.


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Tristan a lui aussi mis la main... à la pâte (photo : Lucas Chappe)


LA RECONNAISSANCE DES CHEF·FE·S


Olivier Roellinger (Cancale) est l’un des premiers à lui faire confiance, puis Vincent Maillard, alors au Jules Verne sur la Tour Eiffel, mais aussi Nicolas Conraux (La Butte, Plouider) et Nathalie Beauvais (Le Jardin Gourmand, Lorient). C’est enfin grâce à Christian Le Squer, lorsqu’il était chef du Pavillon Ledoyen, que David ose les pâtes aromatisées (cèpe, sarriette sauvage, curcuma, basilic, noir de sépia, piment d'Espelette, wakame, betterave, épinard, tomate, citron). La belle histoire a ensuite continué de s’écrire avec la reprise de 35 ha supplémentaires. « Pas pour faire plus mais pour faire mieux, insiste David. Nous pouvons mener des rotations de culture, renforcer notre travail sur la couverture végétale. Je veux juste que mon silo soit plein pour produire ce que l’on est capable de faire à deux. » Pas de certification Bio (sauf sur une partie des ingrédients) mais un travail plus que raisonné. Il a même fait école en mettant en place une manière originale de cultiver le sarrasin. « On le sème début mai pour le récolter début septembre, explique David. Les autres le sèment fin mai-début jeudi pour octobre, à une période où les nuits sont plus courtes et l'humidité plus forte. Ils utilisent une moissonneuse-batteuse alors que nous le fauchons, le laissons sécher sur place pendant environ une semaine avant de le ramasser. On gagne en rendement et en qualité. »


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Likenn fraîches attendant d'aller au séchoir (photo : Lucas Chappe)


Parmi ses souvenirs les plus marquants, David le Ruyet n’oubliera jamais ce jour de juillet 2009. « À l’époque, on allait dans un restaurant italien de la cité Tabarly qui nous prêtait sa machine, raconte-t-il. On y fabriquait les pâtes le samedi, on les séchait chez nous au ventilo, on les mettait en sachet le dimanche et, le lundi, je montais à Paris pour démarcher. » Un dimanche pas comme les autres, après un déjeuner de famille animé, il avoue son rêve d’entrer à l’Élysée. « Pas cap’ ! », lui répondent ses proches. Piqué au vif, il attrape son téléphone, compose le numéro du standard et demande les cuisines. « Et là, ça passe, s’étonne-t-il encore aujourd’hui. Ça décroche, c’est Bernard Vaussion (chef de l’Élysée de 2005 à 2013, ndlr). Je me concentre pour ne pas bégayer et lui demande si je peux déposer des échantillons. Il me répond qu’il est occupé par la Garden Party du 14 juillet mais me propose de passer le mercredi suivant, à 15h30. ‘'Entrez par la rue Marigny'', précise t’il. J’étais comme un fou. »


David revoit le couloir, la batterie de casseroles en cuivre, le bureau encombré de papiers, le vieux téléphone. Le chef qui a servi tous les présidents depuis Valéry Giscard d’Estaing, l’écoute avec attention, prend ses échantillons. « Je l’ai rappelé à la fin du mois, explique David. Il avait aimé, il m’a ouvert des portes. »


On est fier d'ouvrir la porte des Le Ruyet pour faire entrer nos membres dans leur univers. Pasta Party !


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