Les agneaux de prés-salés de François Leclerc (2/2)
- Stéphane Méjanès
- 25 août
- 4 min de lecture
Dans le premier épisode, vous avez pu lire les jolis mots de Mathilde, co-fondatrice du Club, récit d'une immersion chez François Leclerc, éleveur d'agneaux de prés-salés dans la baie du Mont-Saint-Michel. Depuis, le lien entre François et le Club ne s'est jamais rompu. Lui-même le vit chaque jour puisqu'il a baptisé MoiChef l'une de ses brebis (on a essayé, elle ne répond lorsqu'on l'appelle Pépites). L’amour est dans le pré salé.

Sous le soleil exactement (photo : Mathilde Lasserre)
EN DIRECT DE L’HERBU
On a pris de ses nouvelles pour constater que tout allait bien, merci ! À l'été 2024, il avait certes dû déplacer ses bêtes sur une parcelle qui leur était jusque là interdite, car accessible uniquement en traversant un petit ru, mais c’est parce que la surface de ses herbus avait été réduite par le débordement de la rivière Sélune, rendue plus sauvage pour permettre aux saumons de la remonter. Rien de grave, pas plus que deux gros coups de chaleur ayant occasionné un peu de stress chez les animaux. Fragiles, ces petites bêtes. Paradoxe, la saison avait aussi été plus humide. Pluies régulières, pousses d’herbes cohérentes, le garde-manger était alors relativement luxuriant, de quoi leur remonter le moral ! À l'été 2015, ce ne sont pas tant les aléas climatiques qui l'inquiétaient mais plutôt les variations de cours (non, pas de la Bourse de New York) de deux des quatre fleuves côtiers de la baie du Mont-Saint-Michel, la Sée et la Sélune. Il y a quelques années, les travaux de désensablement du Mont avait détourné les sédiments du large. En 2002, ils s'étaient déversés en face de la bergerie de François, façonnant 60 ha d'herbu supplémentaire. Pas forcément une aubaine, cela avait aussi créé des sables mouvants dans lesquels quelques bêtes s'étaient enlisées, alors qu'elles allaient boire (depuis, François a installé le seul abreuvoir de son coin de baie, qui profite aussi aux brebis des autres éleveurs...). Depuis, 50 ha ont à nouveau disparu, sous l'action des rivières. Une brèche en formation pourrait à nouveau modifier bientôt le paysage.
ROUSSIN 1 – SUFFOLK 0
Pour le reste, après 8 ans de pleine activité, tout se met en place comme François l’imaginait. Il s’est associé avec Raphaël Morin, jeune éleveur voisin, pour mieux répartir leurs efforts à la fois sur la commercialisation sous la bannière de leur GIE, "Les Embruns de la Sélune". Ils ont passé leur CAP boucherie pour maîtriser à terme l'ensemble de la chaîne, de l'herbe à la découpe. Aux près, la sélection des races fait son œuvre. Le grand remplacement est en marche, les Roussins de la Hague sont en train de supplanter les Suffolk. Ils achètent leurs béliers Roussin de la Hague aux enchères qui se déroulent à Jobourg, dans le Cotentin, connu pour son nez. En 2024, lors de notre conversation, ils venaient de faire l’acquisition du meilleur bélier de la race, à leurs yeux experts. Raphaël n'a lui que des Roussins, qu'il va surveiller à cheval sur l'herbu. Un pur.

L'alimentation des agneaux est un facteur essentiel au bien-être et au goût (photo : Mathilde Lasserre)
François continue par ailleurs à suivre ses convictions, notamment sur la reproduction. Certains la stimulent en donnant davantage à manger aux brebis, en particulier des céréales. Lui se l’interdit, de l’herbe et puis c’est tout. Il s’assure ainsi que ses animaux sont parfaitement adaptés à leur terroir. L'été, il est en pleine session de reproduction, pour des agneaux qui naîtront entre début janvier et fin mars. Le premiers sont vendus en juin, les autres ont une croissance plus lente et sont commercialisés plus tard.
UN AGNEAU SUR LE PODIUM
Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, François a eu la surprise en 2024 de recevoir un coup de fil inattendu, quoique prédit il y a quelques années par Mathilde elle-même, qui avait vraiment du pif.
- Dring Dring !
(oui, bon, c’est une sonnerie du temps où les téléphones avaient un fil, soyez indulgents)
- Allô ?
- Bonjour, c’est Bruno Verjus.
- (…)
Si on trouve l’agneau de François à Paris au Mazenay, chez Denis Groison, ou aux Caves Legrand, mais aussi au restaurant étoilé de Frédéric Sandrini, le Quai des Saveurs à Hagondange (Moselle), cet appel représentait un véritable saut quantique, il faut bien l’avouer. Bruno Verjus est titulaire de deux étoiles au Guide Michelin pour son restaurant Table, dans le 12e arrondissement de Paris, et a atteint a 3e place mondiale au classement du World’s 50 Restaurants 2024, premier établissement français, devant Septime, de Bertrand Grébaud (11e), Plénitude, d’Arnaud Donckele (18e), et l’Arpège d’Alain Passard (45e). Si l’on peut discuter les choix des jurés, comme ceux des inspecteurs du Guide Michelin, le talent de l’autodidacte Bruno Verjus pour dénicher des produits exceptionnels n’est plus à prouver.

François Leclerc aime tous les animaux (photo : Mathilde Lasserre)
Le hasard a fait que le premier agneau, entier, lui avait d'ailleurs été livré une semaine après la cérémonie du 50 Best. François y avait joint un petit texte racontant toute la généalogie de l’agneau, père, mère, sélection et type d’élevage. Une biographie que le chef n’a pas voulu consulter dans un premier temps, par pudeur, sensible au sort des animaux qu’il cuisine. Il l’a lu après coup, et a remercié François, non seulement pour la qualité gustative répondant parfaitement à ses attentes, mais aussi pour le message, pas morbide du tout mais empli de joie et de goût du partage. Si ça, ce n’est pas Pépites, on change de métier !
