Rencontrer Antoine Marois, c'est grimper sur le présentoir tourniquet d'une boutique de souvenirs normands pour traverser le papier glacé et entrer dans la carte postale. Le Pays d'Auge, son bocage, ses vergers, ses vaches, son climat aléatoire, ses paysans taiseux et ses alambics planqués. Une version réaliste d'une chanson de Stone et Charden. C'est là qu'Antoine Marois a grandi. C'est là qu'il s'est formé à l'agronomie. C'est aussi de là qu'il est parti pour vivre sa passion du vin dans de grandes maisons. C'est là enfin qu'il est revenu, en 2016, pour reprendre les terres familiales. Il a pu racheter les 18 ha de prairies naturelles dont 7,5 ha de vergers hautes-tiges, notamment via la plateforme Hectarea, qui s'est donnée pour mission d'aider les agriculteurs à accéder à la terre et de les reconnecter avec les particuliers qui investissent dans du foncier agricole, lié à des projets durables, afin de « créer un impact positif sur l'environnement et la société ». Les investisseurs deviennent propriétaires des terres, l'agriculteur leur paye un loyer.

Antoine Marois, heureux cidriculteur à Cambremer (photo : Tristan Laffontas)
Tristan a fait la connaissance d'Antoine lors d'une visite avec Paul et Adime, co-fondateurs d'Hectarea. À Cambremer, il a compris qu'Antoine était avant tout un "vigneron du cidre". Il a choisi ses variétés comme on choisit ses cépages. On a répertorié environ 750 sortes de pommes dans le pays d’Auge, dont 48 variétés agréées comme pommes à cidre. Elles portent souvent des noms poétiques : « rouge-mulot », « Noël des champs », « peau de vache » ou « petite sorte ». Chez Antoine, c'est « fréquin rouge », « mettais », « saint aubin », « binet rouge », « domaine » ou « rambeau ». Une richesse et une diversité qui lui permettent de créer des cuvées singulières. Il produit entre autres des cidres parcellaires, « véritable collection de terroirs ... à la personnalité unique ». « La plantation de différentes espèces sur une même parcelle permet également de favoriser la pollinisation, d'étendre la récolte et d'atteindre une grande résilience des rendements des vergers selon le développement des différentes variétés avec le climat propre à chaque année », explique Antoine. Il bichonne aussi des cidres monovariétaux, chaque variété de pomme ayant sa propre signature aromatique et gustative. Des cidres de garde, parfois millésimés. Avec ses pommes, Antoine concocte également des vinaigres et du calvados.
LABEL POMME
On cultive la pomme depuis quasiment dix siècles en Pays d'Auge. Si la production d’eau-de-vie
n’est attestée qu’au XVIIIe siècle, le cidre y a sans doute fait son apparition au XVIe siècle, grâce à
l’essor du pressoir, mais aussi à la curiosité d’un gentilhomme, Guillaume Dursus, qui y a planté de
nouvelles variétés de pommes. Forts de cette histoire séculaire, des producteurs se sont réunis en
syndicat dès 1960, pour organiser et contrôler la qualité du « Cru de Cambremer », avant de créer
la Route du cidre du cru de Cambremer, première du genre en France, en 1974, cette fois pour
mettre en avant la qualité de leur produit et de leur accueil. Il s'agit d'un itinéraire fléché, à l’est de
Caen, qui sillonne un paysage typique du Pays d’Auge et relie, par de petites routes pittoresques,
les villages de Cambremer, Beuvron-en-Auge (village classé), Bonnebosq. La Route du du cidre
de Cambremer est labellisée Site Remarquable du Goût depuis 2014.

Quelques cuvées de la gamme des cidres d'Antoine Marois (photo : Tristan Laffontas)
UN CIDRE NATUREL D'EXCEPTION
Au commencement, il y a surtout chez Antoine un engagement fort pour une agriculture responsable, partagé avec Marie, son épouse. La ferme, labellisée Bio, dispose de l'ensemble du matériel pour l'élaboration des cidres : table de tris, pressoir, cuverie, pompes, machine pour l'habillage des bouteilles et mise en carton. Une bonne partie de l'année, hors récolte manuelle des pommes à pleine maturité, les vaches d'un agriculteur voisin viennent pâturer sous les pommiers hautes-tiges. Seul le cœur de récolte est utilisé pour le cidre en bouteilles. Aucun assemblage n'est réalisé après pressurage, la fermentation principale se fait sur levures indigènes, avec une utilisation modérée du soufre. Le travail au chai est volontairement peu interventionniste pour exprimer au mieux les différences entre terroirs. Les bulles sont fines, issues d’une prise de mousse naturelle lors de la fermentation et donc sans gazéification par ajout de CO2 comme c’est souvent le cas.
Tristan a été conquis.
« Les cidres d'Antoine Marois sont l'illustration parfaite de ce que nous aimons mettre en avant au sein du Club. C'est quelqu'un qui ne prend aucun raccourci dans le mode de production de ses cidres. Cela donne des produits vraiment uniques, presque éloignés de ce qu'on trouve habituellement dans le commerce. Les cidres industriels représentent entre 90 % et 95 % de la production et sont souvent faits à la va-vite, sans se poser de questions sur les variétés de pommes, le terroir, ou le processus de fermentation. Antoine, lui, se démarque complètement de cette approche. »
Grâce à une somme total de 176 400 €, apportée par 136 investisseurs, Antoine Marois, qui emploie déjà un salarié à temps plein, un autre à temps partiel et trois saisonniers pour les récoltes, va pouvoir investir sur un nouveau bâtiment, qui servira à abriter les cuves. « L’objectif n’est pas forcément de produire plus, mais d’avoir un meilleur confort de travail. Je vais pouvoir réguler la température du bâtiment et faire des essais avec des contenants différents. L’objectif, c’est d’augmenter la qualité du produit. » On peut lui faire confiance.

Un pommier hautes tiges dans l'un des vergers d'Antoine Marois (photo : Tristan Laffontas)