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Les fruits à coque de Castaneas

Dernière mise à jour : 27 janv.

Depuis la nuit des temps, l'agriculture est une affaire familiale. On s'installe sur une terre, on la cultive, on y élève des animaux, on se nourrit, on s'habille, on se soigne, on vit du produit de son travail. Et les enfants après les parents. C'est de nos jours moins le cas, la faute au grossissement des exploitations, à la crise des vocations chez celles et ceux qui ont vécu intimement à travers leurs ascendants les affres d'une activité chronophage, épuisante et pas toujours rémunératrice. Chez les Dégans, fondateurs de Castaneas, on n'est pas atteint par ce constat inquiétant. Depuis qu'Yves, le grand-père, a planté des pêchers et des nectariniers dans les années 1930 à Albias, au coeur du Tarn-et-Garonne, la famille persiste et signe. De toute façon, « on devrait jamais quitter Montauban » (Lino Ventura, alias Fernand Naudin dans Les Tontons Flingueurs - chez Castaneas, on a une gamme baptisée Les Bonbons Flingueurs), la grande ville voisine. Mieux que ça, Alain et Chantal, deuxième génération, et aujourd'hui Aurélien et Marion, leurs enfants, n'ont eu de cesse de se renouveler face aux aléas en tous genres qui rythment la vie des paysans, en prise directe avec le vivant et avec les soubresauts du climat et de la géopolitique, de l'économie mondialisée.

Noisette fraîche entre les mains de Marion Dégans (photo : Tristan Laffontas)

DU PRODUCTEUR AU MANGEUR


Dans le sillage d'Yves, Alain et Chantal ajoutent le canard gras aux pêches et aux nectarines. Rapidement, ils s'intéressent aux châtaigniers, puis aux noisetiers et aux noyers, qu'ils replantent. Ces essences sont présentes depuis des siècles en France mais ont notamment été victimes après guerre de la politique des grandes cultures céréalières, déracinées pour faire place à des champs sans arbres ni haies. Avec le canard et les fruits, ils produisent leurs propres conserves et écument les marchés gourmands pour les vendre. C'est tellement bon que, sous la pression de leurs clients affamés, ils démarrent une activité de traiteur qui prend rapidement la forme d'un restaurant, l'Emboucaïre (celui qui gave les oies), ferme-auberge et point de ralliement des gourmets et des gourmettes.


De gauche à droite : Chantal, Alain, Marion, Aurélien et Séverine (photo : Castaneas)


En 2003, Aurélien, dit l'Hommes des Bois, termine sa formation agricole et s'installe pour prendre en charge la culture des vergers, qu'il fait croître en plantant de nouveaux arbres. Vingt ans plus tard, la production s'étend sur 150 ha (incluant les terres des partenaires), dont 6 ha de jeunes châtaigniers et 10 ha de jeunes noisetiers, sur quatre communes du Tarn-et-Garonne, Albias, Léojac, Lafrançaise et Puygaillard. À l'année, Castaneas produit 100 t de châtaignes, 60 t de noisettes et 50 t de noix sèches. Avant que le gel ne frappe la dernière récolte, la petite entreprise familiale a fourni le restaurant Noma de René Redzepi en noix fraîches pendant deux ans, et compte bien recommencer quand la météo sera plus clémente. On dit ça, on dit rien.


UNE AGRICULTURE RAISONNABLE


Aurélien a mis également en place les préceptes de l'agriculture de conservation des sols. Cette pratique limite le travail des sols en supprimant le labour, en favorisant les semis directs à travers le couvert végétal, encourage à diversifier les variétés végétales, notamment pour accompagner la plante principale. Cela permet de lutter contre l'érosion des sols et de diminuer les intrants, sans pour autant s'interdire d'utiliser des produits phytosanitaires de synthèse, à la différence de l'agriculture biologique. Chez Castaneas, on privilégie l'observation et la prévention, par des actions nutritives et curatives, mais aussi une irrigation raisonnée pendant la période estivale. Aurélien a fait la démarche pour obtenir le label Global G.A.P. (good agricultural practice), qui garantit, via un organisme certificateur indépendant, la sécurité alimentaire et la traçabilité, la préservation de l'environnement (y compris la biodiversité), la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs.


Après le fils, ce fut au tour de la fille, Marion, à la commercialisation et à la production, et de Séverine, compagne d'Aurélien, "couteau suisse", responsable de la station à la récolte et à la production, de rejoindre l'aventure. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Jusqu'en mars 2020. La crise du Covid-19 rebat les cartes. Le restaurant baisse le rideau, les parents ont prévu de partir à la retraite, il faut réagir.


La fameuse pâte à tartiner qui fait tourner les têtes et vibrer les palais (photo : Castaneas)


« Le fait d'être obligé de fermer du jour au lendemain le restaurant, de ne plus être maître de notre destin, ça nous a fait nous poser beaucoup de questions », raconte Marion. Avec Séverine, elle multiplie les essais sur les fruits à coques, en particulier en grillant des noisettes. Ça plaît. Direction l'Italie, patrie de la pâte à tartiner, pour finaliser une recette simplissime avec trois ingrédients : noisette, sucre et cacao, et pas de conservateurs. Contrairement aux industriels, qui utilisent généralement des éclats de noisettes déclassées par les producteurs conservant les bonnes pour faire de l'huile de noix, plus rémunératrice, les Dégans misent sur le bon gras naturel de leurs fruits entiers. Les gros faiseurs trouvent ce gras dans l'huile de palme, dont on connaît les externalités négatives, déforestation et mauvais cholestérol en cas de consommation excessive. Goûteuse, onctueuse et saine, la pâte à tartiner Castaneas est désormais le produit-phare de la ferme. En 2022, elle a été classée 4e au salon Gourmet Discovery, à Hambourg. En 2023, elle a reçu le prix Epicures d'Or du salon de l'Épicerie Fine, à Paris. Oubliez les souvenirs d'enfance et les plaisirs coupables, il y a une vie après la tentation qui commence par un N et finit par un A...




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