Les vins du Domaine Albert Mann
- Stéphane Méjanès
- 15 sept.
- 4 min de lecture
À Wettolsheim, au cœur du Haut-Rhin, la vigne grignote les coteaux jusqu’aux premières pentes vosgiennes. Dans la cour du Domaine Albert Mann, les caisses s’empilent, les bottes s’alignent, et l’air semble encore chargé de moût et de sueur de vendanges. Ici, chaque grappe, chaque geste, chaque mot porte la marque d’une exigence partagée. « Il n’y a pas de filet, résume Jacky Barthelmé. Tout doit être au top, chaque année. » Pas de négoce, pas de raisins achetés ailleurs, 25 hectares cultivés en propre, dix personnes pour prendre soin de la vigne et remplir jusqu’à 120 000 bouteilles. « On bosse ça comme un petit jardin », résume Jacky, sans esbroufe.

Tristan chaleureusement accueilli par la famille Barthelmé, de gauche à droite : Pauline, Marie-Thérèse, Antoine et Jacky (photo : Lucas Chappe)
L’histoire commence avec deux frères, Maurice Barthelmé, gendre d'Albert Mann, et son frère Jacky, qui reprennent le flambeau dans les années 1980. Albert disparaît brutalement en 1994, la vie continue. La famille avant tout. À preuve, Marie-Thérèse, ex-épouse de Jacky, reste présente. Quant à Antoine, leur fils, il reprend peu à peu la main avec sa cousine Pauline. Chacun son tempérament mais respectueux de tout ce qui a été construit avant eux. « Quand j’ai dit à mon père que j’avais envie d’essayer autre chose, il m’a répondu : “D’accord, mais d’abord, on regarde.” », s'amuse Antoine. Et de fil en aiguille, la discussion, parfois la friction, font avancer le domaine.
L'ALSACE BIEN NOTÉE
Albert Mann, c’est d’abord une mosaïque de terroirs : Schlossberg, Hengst, Furstentum, trois grands crus. Et une parcelle unique, le Clos de la Faille, sur un site classé Natura 2000, où les moutons entretiennent l’herbe, où les murs en pierre sèche racontent l’histoire, et où le pinot noir puise sa verticalité dans une faille géologique qui sépare granite et calcaire. Le pinot noir qui leur a d'ailleurs permis de faire un espiègle pied-de-nez à la Bourgogne : un 100/100 au Guide Parker décroché en 2022, première fois en Alsace. « Ça montre qu’on peut faire des grands rouges ici aussi », glisse Jacky, sourire en coin. « Notre force, c’est d’avoir des terroirs complémentaires, qui permettent d’exprimer toutes les nuances », insiste Marie-Thérèse. Le riesling y règne en maître, tranchant, précis, tendu. « C’est le cépage blanc avec le plus de potentiel de garde au monde », affirme Antoine, presque incrédule devant la magie d’un riesling de trente ans.

Parcelle exposée plein Sud à Wintzenheim, sur le Grand Cru Hengst (photo : Stéphane Méjanès)
Le style, lui, s’affine d’année en année. Pas de bois tapageur, pas d’artifice. « La puissance, c’est facile, lâche Jacky. La finesse, c’est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir. » Tout se joue à la vigne : tailles courtes, tressage des rameaux plutôt que rognage, vieilles parcelles travaillées à la main ou au chenillard pour ménager les sols, petit volume dans une région qui a souvent sacrifié le caractère en jouant le rendement. Le bio depuis 1993, la biodynamie depuis 1997. Mais la certification n’est venue que bien plus tard. « On voulait être sûrs de ce qu’on faisait, explique Jacky. Pas question d’aller chercher un tampon avant d’avoir intégré tout ça pour de bon. La demande de label, on l’a faite par honnêteté intellectuelle, quand on a estimé que notre travail tenait la route. »
PATIENCE ET LONGUEUR DE TEMPS
Cette précision paysanne n’empêche pas la sueur et l’épuisement des vendanges. « Tu dors mal les jours d’avant, tu rêves que tu es déjà en train de vendanger », raconte Jacky. La première presse, à l’aube, devient une délivrance. Rien n’est laissé au hasard : double tri des raisins, discussion permanente entre père et fils sur le moment juste. « On repart à chaque fois d’une feuille blanche, dit Antoine. L’objectif est de faire mieux que l’année d'avant. »

À son habitude, Tristan bombarde Jacky de questions, qui répond à tout (photo : Lucas Chappe)
Car la viticulture est aussi affaire de patience, d’attente, parfois de renoncement. « On préfère déclasser que de tricher », tranche Jacky. Les jeunes vignes n’entrent pas dans les grandes cuvées avant quinze ans, parfois vingt. Le gewurztraminer, cépage décrié, reste défendu bec et ongles par Marie-Thérèse : « C’est un soldat qu’il faut sauver. Tout le monde veut l’assécher, mais ça ne marche pas. Un gewurz' sec, ça n’a pas de sens. » Antoine renchérit : « Un gewurz' de vingt ans, c’est une pépite ».
Au fond, le Domaine Albert Mann ressemble à son Clos de la Faille : un trait d’union entre deux mondes, granite et calcaire, passé et futur, Jacky et Antoine. Une faille féconde où naissent des vins à la fois tendus et vibrants, précis et vivants. « Ce qui nous tient, c’est l’ambition, revendique Antoine. Ne pas laisser la routine prendre le dessus. » « Ce qu’on aime, c’est l’énergie, l’élan », conclut Jacky.
La vin d'ici et l'au-delà. Le père de Jacky repose à Wettolsheim, ce dernier ne veut pas s'éloigner de cette figure partie trop tôt. « À ma mort, le plus tard possible, je me vois bien enterré au Clos de la Faille, souffle Jacky. De là-haut, j’aurai le plus beau paysage, les Vosges derrière moi et toute la plaine d’Alsace jusqu’à la Forêt-Noire en face. »
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Le pinot noir en majesté au Domaine Albert Mann (photo : Lucas Chappe)
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